CHAUCER (G.)
CHAUCER (G.)
Chaucer eut la chance de naître londonien à une époque où l’anglais de la capitale (
Midlands – Sud-Est) allait devenir la langue littéraire commune. Son œuvre composite, où se mêlent les traditions médiévales du Continent et les courants autochtones, connaît un succès durable, même si, de nos jours, le poète est surtout considéré comme l’auteur «
moderne» des
Contes de Cantorbéry. La satire et le sens de l’observation qu’il y manifeste font de lui l’un des témoins et des critiques de l’Angleterre du XIV
e siècle.
Une existence mal connue
Quelques dates certaines, les événements et les personnages auxquels il se trouve associé, les œuvres qu’il traduisit et composa par goût personnel ou pour plaire à ses mécènes nous permettent de suivre l’évolution de la vie de Chaucer, malgré les lacunes assez importantes qui subsistent. Né vers 1340, il appartient à une famille aisée (son père était négociant en vins). En 1357, il est attaché comme page au service du prince Lionel, fils d’Édouard III. Au cours d’une expédition militaire en France (1359), il est fait prisonnier à Rethel. On ignore tout de lui de 1360, date de sa libération, à 1367. Il épouse, sans doute vers 1366, Philippa Roet, dame de compagnie de la reine. Vers 1367-1368, on le retrouve valet de chambre, puis écuyer du roi. À la mort (1369) de la duchesse Blanche, épouse de John of Gaunt, fils d’Édouard III, Chaucer compose ce qui demeure son premier poème daté, The Book of the Duchess (Le Livre de la Duchesse ), pour célébrer les vertus de sa bienfaitrice. Chargé de diverses missions en France (1368-1378), en Flandre (1377), en Italie (1372-1373 et 1378), il fait alors surtout figure d’homme d’affaires et de courtisan. Il est nommé contrôleur des droits et subsides sur les laines, peaux et cuirs du port de Londres en 1374 et exerce des fonctions similaires aux douanes en 1382. Membre du Parlement en 1386, il représente le Kent; mais il partage vite l’infortune de son protecteur, John of Gaunt, éclipsé pour un temps par le duc de Gloucester. Protégé sans doute du jeune roi Richard II, il devient, au retour du duc de Lancastre, en 1389, surintendant des bâtiments royaux et des travaux publics de la capitale, puis, notamment, forestier dans le Somerset; mais il semble avoir connu des difficultés d’argent dans les dernières années de son existence. Il mourut vers 1400 et fut enterré à Westminster Abbey, proche de sa demeure.
Le classement des œuvres
Indépendamment de son œuvre en prose, on distinguait jadis trois périodes dans la carrière littéraire de Chaucer:
1. La période française (traduction partielle du
Roman de la rose et
The Book of the Duchess ).
2. La période italienne pendant laquelle, à la suite de missions à Gênes et Florence, il subit l’influence de Boccace: Troilus and Criseyde (Troïle et Cresside ), The House of Fame (La Maison de la renommée ), The Parliament of Fowls (Le Parlement des oiseaux ), The Legend of Good Women (La Légende des dames exemplaires ), et quelques contes, dont celui du Chevalier.
3. La période anglaise, celle des Contes de Cantorbéry.
Si l’on s’accorde à reconnaître que l’influence de Machaut, de Jean de Meung, de Boccace fut considérable sur son inspiration, la division ci-dessus ne satisfait plus la critique contemporaine. Au début de sa carrière, Chaucer est certes un poète d’amour français écrivant en anglais; mais il est surtout un jeune poète traditionnel qui cherche sa voie. L’influence italienne se manifeste essentiellement dans le choix de ses intrigues (
Boccace); mais il sait se montrer un artiste original, surtout dans le
Troilus. Enfin, cette division laisse de côté l’influence d’Ovide et de Boèce.
Il est donc actuellement préférable de distinguer les premiers essais poétiques:
The Book of the Duchess (1369-1370),
The House of Fame (1372-1380),
The Parliament of Fowls et
The Legend of Good Women (1380-1386),
où triomphent l’allégorie et la convention, de la période où s’épanouit son génie:
Troilus and Criseyde (env. 1380-1386),
The General Prologue et les
Canterbury Tales (1387-1400) à l’exception de quelques contes.
The House of Fame et
The Legend restent toutes deux inachevées;
The Book of the Duchess et
The Legend sont des œuvres de circonstance. Au contraire, le
Troilus et les
Contes permettent de percevoir un poète en pleine possession de ses dons (observation des comportements individuels, sens du dialogue,
satire).
L’importance des «Canterbury Tales»
La critique chaucérienne ne remonte guère au-delà de la seconde moitié du XIXe siècle, où se manifeste l’influence d’érudits comme F. J. Furnivall (qui fonde la Chaucer Society en 1868) et W. W. Skeat qui édite les œuvres de l’écrivain à partir de 1894. Auparavant, l’édition de Tyrwhitt (Canterbury Tales , 1775-1778) avait aidé à établir le canon chaucérien.
Les imitateurs du poète, qui furent nombreux aux XVe et XVIe siècles, appréciaient surtout le côté moralisateur de son œuvre, l’éloquence du rhéteur, sans doute aussi un certain sens du pastoralisme. Mais, de toute évidence, c’est au Troilus et surtout aux Contes que va la préférence des critiques d’aujourd’hui.
Choisissant le thème médiéval du pèlerinage (voir le
Prologue ), Chaucer se montre dans ses
Contes observateur attentif des mœurs de son temps et l’on a pu, à la suite de Manly et de Muriel Bowden, y découvrir des modèles contemporains. Ses descriptions ont certes des limites qui tiennent en partie au sujet traité et à l’époque; mais la variété des types sociaux et professionnels est ce qui frappe le plus: chevaliers, écuyer, artisans, marchands, gens d’Église... Ces personnages se rencontrent au Tabard, auberge accueillante sur la route de Cantorbéry, et y projettent de chevaucher jusqu’au tombeau de Thomas Becket en se contant des histoires.
La satire, oblique ou directe, n’épargne pas les gens d’Église, ce qui a valu à Chaucer d’être accusé de sympathie à l’endroit des lollards et de Wyclif. L’humour narquois, l’ambiguïté des propos, les sous-entendus malicieux, la verve goguenarde, les dons du conteur ne manquent pas d’alimenter la critique depuis plus d’un siècle. Le réalisme du poète, qui a fait l’objet d’une copieuse littérature, ne saurait se comparer au réalisme moderne: il est avant tout médiéval; l’accumulation des détails (
vêtements, couleurs, etc.), la sélection de traits particularisants restent conformes aux schémas typiques propres au Moyen Âge.
Langue et prosodie
L’œuvre de Chaucer est un fidèle reflet de la situation linguistique anglaise de son temps. Il puise sans mesure, notamment pour les rimes, dans le vocabulaire français et roman, mais son idiome natal lui fournit la base concrète dont sa plume de «
reporter» a besoin. D’où une certaine harmonie lexicale, parfois aussi une monotonie et même des négligences, des répétitions.
Mais, contrairement aux poètes anglais traditionnels, Chaucer n’emploie pas le mètre allitératif. Il cultive le décasyllabe rimé d’origine française et lui assure une place non négligeable dans les lettres anglaises. Il s’essaie aussi aux formes strophiques du Continent, et surtout à la ballade.
Источник: CHAUCER (G.)