ROSSINI (G.)
ROSSINI (G.)
On a écrit qu’entre Gluck et Wagner tout le drame musical est l’œuvre de Rossini. Il n’en faut pas sourire. On ne doit pas, en effet, mésestimer une œuvre pour laquelle Wagner professait la plus grande admiration. «Il restera de moi, disait Rossini, le troisième acte d’
Otello , le deuxième de
Guillaume Tell et tout
Le Barbier de Séville .» Chaque fait saillant de la vie de Rossini est un événement de théâtre: tels sa naissance, son milieu familial, son enfance, sa vie intime,
son rifiuto (sa retraite). En outre, sa venue à Paris, son passage à Vienne, son voyage en Angleterre constituent autant de jalons musicaux. Rossini fut le réformateur de l’opéra italien.
Un «génial paresseux»
Né à Pesaro, en Italie, Gioacchino Antonio Rossini était le fils d’un commerçant et d’une cantatrice d’occasion. Et c’est parce que les événements politiques firent du premier un musicien d’orchestre et de la seconde une chanteuse professionnelle que Rossini vécut toute son enfance au théâtre.
N’aimant pas l’effort, mais élève doué, Gioacchino apprit aisément le chant et l’accompagnement. À onze ans, lecteur consommé, corniste, accompagnateur, il chante et déchiffre à vue. À douze, il débute au théâtre, obligé de gagner sa vie et celle des siens. Il est déjà l’auteur des Six Sonates pour instruments à cordes qui étonnent par l’originalité de leur écriture et par leur spontanéité. À quatorze ans, il compose son premier opéra, que la famille Mombelli lui a fait écrire sans qu’il s’en rende compte, morceau par morceau: Demetrio e Polibio (1806). Déjà, il discerne l’importance de l’école allemande, il perçoit, seul, les éléments nouveaux dont Haydn et Mozart ont enrichi la musique, et, pour se faire la main, il met en partition quelques-uns de leurs quatuors et symphonies, et il compose pour le lycée de Bologne sa première cantate. Les années d’apprentissage s’achèvent. La simplicité de Haydn, l’inspiration de Mozart l’ont convaincu, la nécessité a fait le reste. En vingt-cinq ans, ce «génial paresseux» va écrire plus de quarante opéras.
Musique sacrée ou musique de théâtre? En Italie, le chanteur fait la loi, et les saisons théâtrales prolifèrent. Par goût, mais aussi par obligation, Rossini se lance dans le genre à la mode: l’opéra bouffe. Donné à Venise, son opéra La Cambiale di matrimonio (Le Contrat de mariage , 1810) bénéficie d’un certain succès, malgré une orchestration trop chargée et qui fait hurler d’indignation les chanteurs. De retour à Bologne, il donne la cantate Didone abbandonata (1811) en hommage à la famille Mombelli, fait un triomphe avec L’Equivoco stravagante (1811), puis l’année suivante présente à Venise, notamment, L’Inganno felice (L’Heureux Stratagème ).
Le réformateur de l’opéra italien
Créateur avant tout, Rossini, déjà, brise la forme traditionnelle de l’opéra bouffe; il orne ses mélodies, anime ensembles et finales, emploie des rythmes inusités, redonne à l’orchestre son importance et met le chanteur au service de la musique. Déjà, Le Barbier pointe sous La Cambiale . En 1812, Rossini écrit encore un oratorio: Ciro in Babilonia .
Grâce à l’intervention de la Marcolini, une cantatrice qui s’intéressait à lui, Rossini écrit pour la Scala de Milan
La Pietra del paragone (
La Pierre de touche , 1812), sorte de pierre de touche,
en effet, de son génie naissant et qui le révéla, seulement âgé de vingt ans, à l’échelon national. Inlassable, il écrit encore
L’occasione fa il ladro (
L’occasion fait le larron ), tandis que la famille Mombelli organise la première représentation de
Demetrio e Polibio . Six ouvrages en une année; qui oserait évoquer sa paresse légendaire?
Sept ouvrages lyriques, quelques cantates, la fréquentation des milieux du théâtre et de la musique, les femmes, la vie facile ont donné à Rossini, ce pudique malicieux, une profonde connaissance de son métier et affiné son goût de la vie. Soucieux d’originalité, il est mûr pour les ouvrages majeurs. La voix n’a plus de secret pour lui; le théâtre et les cantatrices non plus. Aussi les conceptions scéniques de l’époque le font-elles sourire. Venise, la ville la plus raffinée d’Italie, va lui offrir une vraie gloire avec
Tancredi (1813); il réforme entièrement le vieil
opera seria : il supprime les longues tirades de récitatifs et les remplace par des passages de déclamation lyrique; il relie les mélodies vocales par un ornement orchestral, composant une authentique partition dramatique. L’œuvre enthousiasme les Vénitiens. La réussite de
L’Italiana in Algeri (1813) lui succède. Dans le genre léger, Rossini réformait encore. Ces deux succès lui ouvrent en grand les portes de la Scala de Milan. Avec
Aureliano in Palmira (1814), le compositeur affirme son autorité vis-à-vis des chanteurs: il décide d’imposer et d’écrire les ornements de ses cantilènes.
La maturité
Elisabetta, regina d’Inghilterra (1815) est un triomphe. Rossini complète sa réforme de l’
opera seria . Fêté, admiré, aimé, Rossini se rend à Rome où l’attend la composition de deux ouvrages: l’un sérieux, l’autre bouffe.
Torvaldo e Dorliska (1815) y fit une carrière éphémère, et, assigné par un contrat draconien qui en dit long sur la condition du compositeur à cette époque, Rossini entreprend d’écrire
Le Barbier de Séville . Treize jours lui suffisent pour qu’en un véritable accès de fièvre et de délire – en empruntant néanmoins quelques pages à des ouvrages antérieurs, notamment l’ouverture à
Elisabetta, regina d’Inghilterra – naisse ce chef-d’œuvre (1816). Inspiré par Beaumarchais, Rossini le dépasse. Au faîte de son art, il maîtrise, épure, discipline son inspiration mélodique. Son chant orné se justifie: les défauts disparaissent, le style devient original. Coup sur coup, il produit quatre de ses œuvres maîtresses dans des genres différents: la comédie du
Barbier , la tragédie d’
Otello (1816), le conte de
La Cenerentola (1817) et le mélodrame de
La Gazza ladra (1817).
Quand paraît Armida (1817), œuvre à grand spectacle, célèbre par son trio pour voix de ténor, Rossini semble vouloir rajeunir son talent. Mais Mosè in Egitto (1818) subit l’influence allemande. En réaction, avec Adelaide di Borgogna , Adina o il Califfo di Bagdad , Ricciardo e Zoraide (1818), le compositeur développe les ornements du chant.
En 1820, il part pour Vienne soucieux de rencontrer Beethoven, emmenant la cantatrice Isabelle Colbrand qu’il venait d’épouser. Déçu par la situation de l’auteur de Fidelio , il retourne à Venise où il allait couronner sa carrière italienne par Semiramide (1823). Les Vénitiens, attardés, ne comprirent pas cet ouvrage étonnant, à notre goût le plus accompli de tout le théâtre rossinien, et le musicien prit définitivement la résolution de ne plus écrire une seule note pour ses compatriotes. Fidèle à cette résolution qu’il suivit de façon inexorable, il décida de quitter l’Italie.
Riche, marié, instable, Rossini, épicurien de nature, avait le désir de voyager. Le 9 novembre 1823, il entre à Paris, accueilli dans l’enthousiasme. Mais, si les anciens le surnommaient «il signor Vacarmini» ou «Monsieur Crescendo», les jeunes affichaient très vite leur admiration. Et, après un séjour infructueux à Londres, Rossini revient à Paris prendre la direction du Théâtre-Italien. Après avoir fait jouer quelques-uns de ses ouvrages, il compose
Il Viaggio a Reims , opéra de circonstance écrit pour les fêtes du sacre de Charles X, qui le nomme, en 1825, premier compositeur du roi et inspecteur général du chant en France. Cette nomination s’accompagne de la commande de cinq opéras en dix ans dont, seul,
Guillaume Tell verra le jour, la révolution de 1830 mettant fin à ses fonctions. Il détruit ainsi les esquisses d’un
Faust et abandonne un projet consacré à Jeanne d’Arc. De même, il renonce vite à la direction du Théâtre-Italien devant la jalousie des autres compositeurs et les caprices de la diva en vogue, la Pasta. Il y avait été cependant d’une grande efficacité, imposant un style de chant opposé au
urlo francese , faisant débuter la Malibran et tirant Giulia Grisi des petits rôles où elle s’ennuyait.
Depuis longtemps, Rossini souhaitait modifier sa manière: abandonner ce que le chant orné a de technique, d’artificiel et de froid au profit de la déclamation et du chant soutenu, c’est-à-dire de la vérité et de l’intensité. Pour cela, il lui fallait aussi réformer l’orchestre et donner plus d’importance aux masses chorales. Paris, après Gluck, l’autorisait. Naquirent ainsi – tous trois sur un livret en langue française –
Le Siège de Corinthe (1826), salué par Berlioz, suivi d’un
Moïse remanié (1827) et du
Comte Ory (1828),
où Rossini entend prouver qu’il sait s’adapter à l’opéra comique.
La composition de
Guillaume Tell (1829) fut extrêmement laborieuse. Mais il en vint à bout, car le thème de la liberté tel que le concevait Schiller l’enthousiasmait. Le public parisien lui fit une ovation, et, en un seul ouvrage, il avait répondu à toutes les critiques de la façon la plus élégante. Il décidait aussi, à trente-sept ans, de ne plus écrire pour le théâtre.
Le silence
Sur les causes de son silence, on se perd aujourd’hui encore en suppositions. Pourquoi ce fameux rifiuto ? Pour les uns, sa paresse légendaire serait à l’origine de cette attitude. C’est peu probable. Pour les autres, l’hostilité et les bouderies parisiennes à l’égard de son œuvre, comme le succès de Meyerbeer, l’incitèrent au silence, ce qui paraît plausible.
Retiré dans sa maison de Passy, il s’adonne à la composition de pages instrumentales et religieuses. Le démon du voyage le reprend: en 1836,
il est à Milan; puis il se fixe à Bologne où il est nommé président honoraire du Liceo Musicale. Il y réforme l’enseignement de la musique mais doit abandonner ses fonctions en 1848: la révolution le chasse à Florence. Deux ans plus tôt, il a épousé, en secondes noces, Olympia Descuilliers. En 1855, de retour à Paris, il devient le centre de la vie artistique de la capitale: son autorité, son sens critique acerbe, mais lucide (
n’avait-il pas qualifié Offenbach de «petit Mozart des Champs-Élysées»), font graviter autour de lui une vie musicale trépidante. Les
Péchés de ma vieillesse , pages instrumentales (essentiellement pour piano) et vocales (1857-1868) constituent le meilleur témoignage de cet ultime acte de la vie de Rossini: pastiches ironiques, satires ou portraits caricaturés portent la marque indélébile de l’auteur du
Barbier , son sens inné de la mélodie et du raffinement.
Au cours de ses voyages, il avait écrit plusieurs recueils de mélodies dont les
Soirées musicales , où l’on retrouve la fameuse
Danza , sur des thèmes napolitains (1835), et la
Regata Veneziana (1857). Le
Duetto bouffe pour deux chats vit le jour dans le même contexte. Mais c’est dans le domaine religieux qu’il livre les pages les plus marquantes de cette dernière période:
le Stabat Mater (1831-1842), commande de l’archidiacre de Madrid, don Manuel Varela, et la
Petite Messe solennelle (1864) dans laquelle il substitue à l’orchestre traditionnel deux pianos et un harmonium, dépouillant volontairement l’instrumentation au profit d’une écriture vocale où l’inspiration religieuse est indéniable, bien qu’elle fasse la part à certains effets dont le brillant convient peut-être mieux à la scène qu’à l’église. «Peu de science, un peu de cœur, tout est là. Sois donc béni et accorde-moi le Paradis», écrivait-il à propos de cette messe qui demeure son testament musical.
Источник: ROSSINI (G.)