CATHER (W.)
CATHER WILLA (1873-1947)
Tout commence un jour de mars 1883. Willa Cather a neuf ans. Sa famille, des fermiers de lointaine ascendance irlandaise installés en Virginie depuis l’époque coloniale, traverse des temps difficiles; la compagnie de chemin de fer offre des terres à bon marché à l’ouest, dans la vaste prairie. La première impression de la petite fille lorsqu’elle débarque avec les siens dans un Nebraska recouvert de neige marquera son œuvre: un radical dépaysement, un mélange de terreur de se retrouver «
nulle part», dans un plat pays sans arbres ni clôtures, pareil au «rebord du monde», et d’exaltation devant l’ampleur houleuse de cette plaine qui s’étend à perte de vue, avec seulement, ici et là, quelques hameaux dispersés, à peine ancrés dans le plateau, s’accrochant pour ne pas être emportés par le grand vent. Dépaysement d’autant plus grand que ces hameaux sont peuplés d’immigrants venus de Russie, d’Allemagne, de Bohême, du Canada français aussi. La jeune Cather passera son adolescence de garçon manqué à parcourir sur son poney les routes bordées de tournesols et à écouter de vieilles femmes en fichu lui raconter, avec un fort accent, des histoires du «Vieux Pays».
Alors qu’elle est encore étudiante à l’université de Nebraska, Willa Cather écrit une nouvelle dont le thème resurgira dans d’autres écrits; elle raconte l’histoire d’un artisan de Bohême que sa femme, qui rêve de propriété terrienne, a poussé à émigrer en Amérique et qui, rendu fou par l’espace et la solitude, boit pour oublier puis, une nuit, alors que les loups hurlent au loin dans la plaine, se suicide après avoir fracassé son violon. Le
la était donné. Une revue de Boston accepta la nouvelle. Willa Cather était publiée à dix-huit ans. Et pourtant, ce n’est que vingt ans plus tard qu’elle reviendra à ces «souvenances» d’enfance et qu’elle commencera sa vraie œuvre. Entre-temps, elle part pour la côte est, travaille comme journaliste, dont six ans (de 1906 à 1912) à New York dans le plus grand magazine de reportage de l’époque,
McClure . Des nouvelles, un premier roman, et en 1913 Willa Cather entre enfin dans son territoire romanesque avec
Ô! Pionniers . Le titre est emprunté à Walt Whitman et à ses
Feuilles d’herbe , et l’histoire d’Alexandra, fille d’un immigrant suédois qui, à la mort de celui-ci, alors que ses deux frères ont préféré chercher fortune à la ville, reprend courageusement la ferme, est une épopée de la terre. Willa Cather l’a voulue pareille au largo de la
Symphonie du Nouveau Monde de Dvo face="EU Caron" シák – un «
largo» des herbes de la plaine, qui suit majestueusement le rythme des saisons, de l’hiver, quand la marmotte ne sort plus de son trou et que les coyotes hurlent de faim sous le ciel gris, au printemps, puis à l’été, lorsque les chaumes flamboient sous le soleil.
Mon Antonia (1918) est, cinq ans plus tard, l’autre grand roman de ce cycle du Nebraska: Jim Burden, aujourd’hui avocat, se souvient d’Antonia, «
son» Antonia, la petite fille de la ferme d’à côté, avec qui il jouait enfant et qu’il a revue de loin en loin. Quand son père, l’ancien artisan violoneux, s’est suicidé, elle a travaillé durement aux champs, puis est partie «
en ville» faire la domestique, s’est laissé tourner la tête au bal par un séducteur qui l’a abandonné une fois enceinte; aujourd’hui, elle est revenue à la terre, s’est mariée, a eu d’autres enfants et s’est épanouie avec une force tranquille et quasi tellurique.
Avec Hamlin Garland, Sherwood Anderson et quelques autres, Willa Cather fit partie de la cohorte des écrivains qui, au tournant du siècle, ont donné sa place au Middle West sur la carte américaine. Et comme chez eux, l’Ouest est un lieu ambigu: l’immensité de l’espace, mais aussi la petite bourgade rurale; le monde mesquin et étriqué d’où quiconque a une âme d’artiste devra s’enfuir. Tel est le thème du Chant de l’alouette (1915) qui retrace l’envol d’une soprano depuis l’église de son pasteur baptiste de père, dans le Colorado, jusqu’au Metropolitan Opera House de New York. Willa Cather avait juste vingt ans lorsqu’à Chicago, en 1893, l’historien Frederick Jackson Turner annonça que le temps de la Frontière était clos: elle appartient à la dernière génération à l’avoir connue. À partir de 1918, l’hymne de naguère devient une lamentation sur un monde évanoui.
Avec le boom des années 1920, l’esprit de lucre a envahi les Grandes Plaines. Willa Cather se tourne de plus en plus vers le paysage du Sud-Ouest:
ainsi évoquera-t-elle, dans
La Maison du professeur (1925), les mesas du Nouveau-Mexique et leurs vestiges de civilisations indiennes disparues. Remontant de plus en plus haut dans le passé, elle écrit des romans historiques:
La mort vient à l’archevêque (1927) narre, sur le mode de la fresque naïve et merveilleuse, «à la Puvis de Chavannes», l’histoire de la mission catholique à Santa Fe en 1849;
Ombres sur le rocher (1931) évoque la forteresse de Québec à l’époque du vieux comte de Frontenac.
Pour Willa Cather, au sommet de sa notoriété en 1925, une longue éclipse commence jusqu’au jour où la critique féministe la «redécouvrira», avec Kate Chopin, Edith Wharton et d’autres, dans les années 1970. Ses grands romans du Nebraska n’auront toutefois jamais été oubliés: l’aurore sur les plaines, telle une flamme rouge qui repousse les étoiles; le balancement de la charrette dans un océan d’herbes; un feu de bivouac au loin, sur la Prairie sans carte ni route. Et cette image qui est un peu sa signature: au coucher du soleil, au moment où la partie inférieure du grand disque rouge vient toucher les champs à l’horizon, une immense silhouette noire s’y découpe – l’ombre grandiose d’une charrue abandonnée au loin.
Источник: CATHER (W.)