MORRISON (T.)
MORRISON TONI (1931- )
Toni Morrison, de son premier nom Chloe Antony Wofford, est née le 18 février 1931 à Lorain, Ohio. Romancière, elle a apporté un ton nouveau à la littérature afro-américaine. Après des études aux universités Howard et Cornell, elle enseigne dans la section d’anglais de Texas Southern University, puis à Howard. Entrée aux éditions Random House, elle est bientôt promue senior editor et, jusqu’en 1984, sera responsable de la publication de plusieurs auteurs afro-américains. Elle collabore aussi à la préparation de The Black Book: A Scrapbook of 300 Years of the Folk Journey of Black America .
En 1970 paraît son premier roman, The Bluest Eye (L’Œil le plus bleu ). Dans cet itinéraire frustrant d’une fillette, les rapports familiaux sont inaccomplis et tragiques: le désir déçu de Pecola, privée d’amour maternel et violée par son père adoptif, s’asservit au regard des Blancs et la conduit au dédoublement de sa personnalité. Sula paraît en 1973. À partir des différences entre les codes que chacun se donne et des transgressions qui y sont apportées, le roman montre la gloire et l’échec de l’individualisme et pose de multiples questions sur les rapports entre individu et communauté, entre hommes et femmes.
Conférencière à l’université Yale, Morrison voit
Song of Solomon (
La Chanson de Salomon ) couronné par le National Book Critics Circle en 1977. Elle reçoit aussi le prix de l’Académie américaine et celui de l’Institut des arts et des lettres.
La Chanson de Salomon a recours au réalisme magique pour explorer les origines africaines quasi effacées et la quête de soi d’un adolescent à qui sa tante, Pilate, sert de guide. Jadine, l’héroïne instruite et splendide de
Tar Baby (1981) souffre elle aussi du déchirement dû à ses racines culturelles, partagée qu’elle est entre l’attrait de l’Europe et la persistance mythique de l’Afrique. Dans le corps féminin s’inscrivent souvent une irréductible différence — exprimée par un stigmate (l’absence de nombril chez Pilate) et une volonté de résistance. Le corps est le lieu — le «
texte» — où il convient de lire de multiples symboles.
Toni Morrison obtient en 1984 une chaire à l’université de l’État de New York, à Albany, et quitte Random House. En 1985, sa pièce Dreamling Emmett est montée à New York...
En 1987, Beloved obtient le prix Pulitzer pour la fiction. Ce livre essaie de restituer l’histoire afro-américaine dans une dialectique complexe de la mémoire et de l’oubli, établissant un dialogue avec la tradition des récits d’esclaves et montrant la transformation de l’image de la plantation. Le fantôme de Beloved, que sa mère a tuée par excès d’amour, revient solliciter l’affection de celle-ci et la complicité de sa sœur. Si l’amour est le chant qui traverse l’œuvre de Morrison — amour de «son peuple», foi en sa capacité d’aimer —, elle tente avant tout de rompre avec la culture du silence. Les révélations sont nombreuses dans une œuvre où le lecteur est invité à aller de l’observation extérieure à la compréhension intime. Ainsi seulement peut être perçue la complexité des situations et des actes (le meurtre de l’enfant par la mère, le viol de la fille par le père). Les résonances poétiques aident à suspendre le jugement et suggèrent une nouvelle éthique. D’autres rites doivent être inventés: ceux d’une écriture qui se veut médiation entre l’oralité et l’écrit. Toni Morrison croit à la puissance de la transgression du verbe pour réaliser une révolution.
La poétique de son écriture répond au projet de Morrison de comprendre dans toutes ses potentialités une vérité insoupçonnée. Ainsi dans
Jazz (1992), son dernier roman en date, elle recrée, à propos d’un crime passionnel à Harlem, non seulement toutes les émotions associées aux images de la mort mais aussi le mystère propre à chaque mort.
Playing in the Dark ;
Whiteness and the Literary Imagination (1992) est une étude des stéréotypes raciaux dans la littérature, et
Race-ing ,
Justice ,
En-gendering Power (1992) traite, dans la même optique, de la nomination du juge Clarence Thomas à la Cour suprême et de l’affaire Anita Hill comme exemples de «construction de la réalité sociale».
Depuis 1989, Toni Morrison enseigne à l’université Princeton. Membre fondateur de l’Académie universelle des cultures, elle a obtenu le prix Nobel de littérature en 1993.
Remarquable conteuse, cet écrivain américain est aussi une Afro-Américaine qui revendique sa différence; c’est pour son peuple qu’elle écrit, pour reconstruire avec lui une mémoire collective, une identité bafouée, un rêve différé. En ce sens, son écriture est politique, engagée dans une réalité troublante qu’elle cherche à cerner. Décidée à prendre ses distances par rapport aux idéologies qui ont donné de l’âme noire des interprétations réductrices, elle se défie des certitudes et a l’ambition d’explorer ce qui a échappé au regard des historiens comme à l’imaginaire de ses prédécesseurs. Elle souligne les ambiguïtés et les incertitudes à l’intérieur même de l’œuvre. Tout manichéisme est exclu: l’essentiel est de retrouver le sens du tragique et du sacré. Cette vérité, Morrison la recherche par des voies qui incluent l’humour, le burlesque, l’insolite, le merveilleux. Les pratiques culturelles afro-américaines sont placées au cœur de sa poétique. Dans la musique et la tradition orale, elle puise figures et énigmes. Inséré entre un début, qui pose l’énigme qui gouverne tout le texte, et une fin où s’énonce son inachèvement, le roman demeure ici une «œuvre ouverte».
Источник: MORRISON (T.)