Книга: Corneille P. «Le Cid (изд. 2011 г. )»

Le Cid (изд. 2011 г. )

Производитель: "Hatier"

Серия: "Themes"

Chim&232;ne aime Rodrigue; Rodrigue aime Chim&232;ne; mais Rodrigue tue le p&232;re de Chim&232;ne... Une des grandes tragi-com&233;dies de Corneille. Avec un groupement de textes sur la figure du h&233;ros, de la Rome antique au XXe si&232;cle.

Издательство: "Hatier" (2011)

ISBN: 978-2-218-96319-3

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CORNEILLE (P.)

CORNEILLE (P.)

Le théâtre cornélien est fait pour nous saisir et nous entraîner, au moyen d’exemples qu’il place à distance de nous et au-dessus de nos pouvoirs ordinaires, et qui cependant n’ont tout leur sens que par notre admiration. Étonnement et communion, mouvement de ce que nous sommes vers ce que le drame nous suggère d’être au-delà de nous-mêmes, tel est le ressort puissant de ce théâtre. Ce qui a quelquefois empêché de bien comprendre l’intention exaltante de l’œuvre, c’est un dilemme, installé depuis dans les esprits, entre l’admirable et le raisonnable. Les deux choses dans Corneille ne se séparent pas, parce qu’il est d’un temps où la déraison n’avait encore nul prestige et où le sublime moral ne se concevait que dans une vue lucide des conditions et des obstacles, et ne se réalisait que dans une victoire: victoire sur les choses ou victoire sur soi-même, assurance en tout cas d’avoir bien calculé et choisi l’issue la plus haute, et de pouvoir au besoin le démontrer. Le jour où le merveilleux a impliqué un désaveu de l’entendement, les héros pensants du théâtre cornélien, en dépit des audaces surprenantes où ils se plaisent, ont été tenus pour d’ennuyeux professeurs de morale. Un autre préjugé, de source différente, mais qui s’est conjugué avec celui-là, cherchait dans les œuvres classiques l’enchaînement naturel et immédiatement plausible des actions, comme la condition nécessaire de toute fiction heureuse; ce préjugé masquait tout ce qui, dans Corneille, est inventé pour faire impression sur nous, indépendamment et au-delà de la commune vraisemblance: la représentation inventive et paradoxale des démarches de l’héroïsme qui occupe son théâtre restait invisible à la critique. C’est à une époque relativement récente qu’on a ouvert les yeux sur ce qui nous semble aujourd’hui essentiel chez Corneille: une éthique de la grandeur glorieuse, une esthétique du rare et de l’inattendu.

1. Vie et carrière

Nous savons peu de chose de la vie de Corneille. Seuls les grands faits et les dates – parfois approximatives – des œuvres nous sont connus. Corneille naquit à Rouen en 1606, d’une famille de fonctionnaires royaux et de petits magistrats. Il fit ses études chez les jésuites de sa ville natale, fut reçu avocat en 1624. En 1628, il acquit la charge d’avocat du roi devant des juridictions locales. Ce que nous savons de ses amours de jeunesse est très incertain. Il entra dans la carrière dramatique en 1629 avec une comédie, Mélite. Entre cette date et 1634, il fit représenter cinq comédies et une tragi-comédie. Vers le même temps, il fut un des «cinq auteurs» dont Richelieu rétribua pendant quelques années la collaboration à ses ouvrages dramatiques. Cependant, les vicissitudes de ses relations avec le cardinal jusqu’à la mort de celui-ci, en 1642, nous sont obscures et demeurent très diversement appréciées par les critiques.

En 1636, Le Cid le rendit célèbre, et inaugura une série de chefs-d’œuvre tragiques, Horace , Cinna , Polyeucte (1640 à 1643), puis La Mort de Pompée et Rodogune (entre 1643 et 1646), plus tard Nicomède (1651). Pendant cette période, Corneille écrivit encore une comédie, Le Menteur , puis la Suite du Menteur , mais sa gloire est désormais celle d’un auteur tragique. Cette gloire et l’enthousiasme du public pour ses ouvrages et pour sa personne étaient immenses, si nous en croyons les témoignages du temps. Dans l’intervalle, son père avait été anobli par Anne d’Autriche, en 1637; il s’était marié en 1641 avec Marie de Lamperière; il était entré en 1647 à l’Académie française ; il venait souvent à Paris, et y fréquentait parfois les cercles littéraires. En 1650, pendant les troubles de la Fronde, qui opposèrent plusieurs princes du sang à la régente Anne d’Autriche et à Mazarin son ministre, Corneille accepta de la cour une charge de procureur aux États de Normandie, en remplacement d’une créature des princes; à la paix tout fut remis en état, et sa charge lui fut reprise. Pourtant, dans l’intervalle, il s’était, semble-t-il, tourné contre Mazarin.

En 1652, sa tragédie de Pertharite échoua, et il abandonna le théâtre. Il s’était démis de ses charges et vivait à Rouen en bourgeois dévot, se consacrant à une traduction en vers de l’Imitation de Jésus-Christ , qui parut en 1656. Après une retraite de sept ans, sur les instances du surintendant des Finances, Fouquet, nouveau protecteur des gens de lettres, il reparut au théâtre: sa tragédie d’Œdipe fut représentée avec succès en 1659. En 1660, il publia une édition corrigée de l’ensemble de ses œuvres, précédée de trois Discours sur la tragédie et accompagnée d’Examens de ses pièces. La tragédie de Sertorius suivit en 1662, puis Corneille vint habiter Paris avec son jeune frère Thomas, entré lui aussi avec succès dans la carrière du théâtre. Il reçut sous Colbert plusieurs gratifications royales, fut protégé par des grands et s’entoura d’une coterie d’admirateurs. Il écrivit encore plusieurs tragédies, qui, malgré un puissant parti littéraire de «cornéliens», furent reçues souvent avec froideur. Corneille ne pouvait plus se mesurer avec succès à ses rivaux de la jeune génération, surtout à Racine. Il ressentit, semble-t-il, cette situation fort amèrement. L’échec de Suréna en 1674 détermina sa retraite définitive. La légende veut que les dernières années de sa vie aient été assombries par la misère; la vérité est seulement qu’il fut rayé en 1675 de la liste des pensions. Il était un peu abandonné, mais sa gloire se maintenait et ses pièces étaient toujours jouées à la cour. En 1682, il fit paraître l’édition complète de son théâtre. Il mourut en 1684.

Comme on voit, nous ne savons à peu près rien de la vie intime de Corneille, ni de ce qui a pu le préoccuper en dehors de la création de son œuvre. Nous savons peu de chose aussi de son caractère. Il était, nous dit-on, d’humeur triste et de comportement maladroit; nous pouvons le supposer en proie à une imagination aussi magnificente que sa condition était modeste. On admet qu’il avait le caractère amoureux; il l’a dit lui-même; on a des vers de lui qu’il adressa, âgé de plus de cinquante ans, à une jeune actrice; il souffrit sans doute de n’avoir d’autres moyens de plaire que sa gloire d’auteur. Il avait dans les milieux de théâtre la réputation d’aimer l’argent outre mesure; il était fier, susceptible, conscient de son génie; il n’était pas bon courtisan, quoiqu’il eût envie de l’être; il fut jaloux de ses jeunes rivaux. Ces traits composent une faible esquisse, à partir de laquelle notre imagination peut essayer de faire revivre sa figure. Nous voudrions surtout saisir une relation entre le peu que nous savons de lui et son œuvre. Il faut bien admettre que ce que Corneille a écrit a quelque rapport avec ce qu’il a été, mais ce rapport, conjectures à part, nous reste obscur. Pour nous, Corneille demeure avant tout l’auteur des pièces qui portent son nom et, hors de ses pièces, un bourgeois de Rouen, bon administrateur de son bien et père de famille dévot. Entre son œuvre et ce qui nous apparaît de sa vie, nous entrevoyons à peine sa personne.

2. Corneille et le genre tragique

Corneille était certainement convaincu de l’excellence de la tragédie régulière; son théâtre a marqué un moment dans le triomphe progressif des règles. On n’en trouve pas moins chez lui, de façon latente, une résistance à la régularisation du poème tragique. Il hésitait, à ses débuts, entre le goût moderne et la discipline des doctes. Le Cid est une tragi-comédie médiocrement régulière; mais, même dans ses tragédies les plus achevées, Cinna , Polyeucte , les critiques ont constaté une imparfaite conformité aux préceptes des théoriciens. Un des plus en vue parmi ces théoriciens, l’abbé d’Aubignac, avait déjà publié, en 1657, sa Pratique du théâtre , quand Corneille fit paraître, en 1660, ses trois discours: De l’utilité et des parties du poème dramatique ; De la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable et le nécessaire ; Des trois unités. Sans contredire dans leur ensemble les vues d’Aristote, telles que les interprétaient ses commentateurs modernes, il les discute plus d’une fois, en homme qui a peine à concilier son génie propre avec les doctrines officielles. Ainsi, il soutient que la fin première du poème dramatique est le plaisir, se donnant par là le droit d’inventer et de créer hors de l’emprise des règles. Cette affirmation, qui revient plus d’une fois dans ses écrits, est bien naturelle chez un auteur; Racine, plus régulier que lui, et, dans un autre domaine, Molière diront la même chose. En art, l’effet importe évidemment plus que le précepte; les écrivains, en acceptant la loi des doctes, ont toujours réservé leur privilège de créateurs. Mais, plus précisément, Corneille est grand expérimentateur de formes dramatiques. Outre l’originalité, constamment renouvelée, de ses créations dans la comédie, la tragi-comédie et la tragédie pure, il a écrit des «comédies héroïques», qui annoncent le drame moderne, comme Don Sanche et Pulchérie , des pièces à machines, qui annoncent l’opéra, comme Andromède et La Toison d’or. Aussi perçoit-il une contradiction entre son instinct d’inventeur et une poétique toute faite.

Il est significatif qu’il refuse d’interpréter comme la majorité de ses contemporains le précepte d’Aristote selon lequel la tragédie est la représentation du possible. Les théoriciens entendent par «possible» ce qui est conforme au train ordinaire des choses, le vraisemblable. Corneille entend par là tout ce qui n’est pas impossible, même si c’est extraordinaire. Les grands sujets, selon lui, «doivent toujours aller au-delà du vraisemblable»; il suffit que l’histoire ou la légende les accrédite. Tels sont, parmi d’autres, les sujets du Cid , d’Horace , de Rodogune . De même, l’opinion d’Aristote qui veut que le personnage tragique ne soit ni tout à fait bon ni tout à fait méchant, et tombe par quelque faiblesse dans un malheur digne de commisération, ne convient guère à Corneille, peintre des grandes vertus et des grands crimes: aussi la critique-t-il longuement. Dans l’ensemble, les Discours et les Examens donnent l’impression d’une opposition sourde aux préceptes. La soumission timide et parfois scrupuleuse de Corneille laisse percer sans cesse des contestations et chicanes diverses, qui trahissent des objections de fond.

La tragédie cornélienne est faite pour exalter, non pour apitoyer ou terrifier. Contrairement à la tragédie antique, elle est, par essence, optimiste. La vie des personnages et leur bonheur sont en péril, mais ce que la tragédie enseigne, ce n’est pas la toute-puissance du malheur ou la débilité de la condition humaine, c’est, au contraire, la grandeur de l’homme, sa capacité de vaincre le destin. Elle fait agir, non la pitié et la terreur, suivant la formule aristotélicienne, mais l’admiration. Elle s’achemine, par d’héroïques victoires, vers le meilleur dénouement possible, souvent vers un dénouement heureux, non vers une catastrophe. Dans une telle tragédie, le pathétique proprement dit a relativement peu de place: elle est effort et conquête, drame au sens strict du mot, non passion. La douleur tragique y est moins essentielle que la force d’âme et la prouesse. En ce sens, on peut dire que la tragédie de Corneille reste en deçà du tragique, qu’elle est autre chose. On conçoit en tout cas qu’avec un tel contenu elle entre mal dans les formes simples de la tragédie régulière. Il a fallu longtemps pour concilier le goût moderne de l’action, dont témoigne de façon si éclatante tout le théâtre européen à partir de la Renaissance, et le nécessaire dépouillement du genre tragique. Les théoriciens tendaient à ce résultat en proposant comme matière à la tragédie la peinture des caractères, le tableau de la nature humaine en action. Mais, justement, Corneille est étranger à cette vue du théâtre tragique. Il accorde plus d’importance aux sujets qu’aux caractères. Tel de ses admirateurs l’en félicite; ses critiques en général le lui reprochent. Cette controverse va loin: dans un cas, des caractères donnés selon l’humanité engendrent le drame comme leur résultante; dans l’autre, une situation d’abord choisie, et choisie pour ce qu’elle a d’inouï, suscite, en réponse, des caractères hors du commun. Le dilemme, en dernière analyse, est celui du naturel et de l’exceptionnel. L’amour de Corneille pour les beaux sujets (vastes intérêts d’État, conflits rares, conjonctures étonnantes où s’évertue la casuistique des grandes âmes) l’éloigne des architectures simples dont le goût classique devait faire son idéal. Il lui faut une tragédie d’allure plus libre, plus variée, plus complexe.

Non qu’il ait, comme on l’a dit souvent, subi les règles à contrecœur, ni qu’il ait été gêné par elles. Il a cru à l’excellence d’une discipline, à laquelle cependant son génie n’a su, ou voulu, se plier, en fin de compte, qu’autant qu’il lui convenait. Une tragédie de Corneille, avec son sujet antique, ses cinq actes enclos (ou presque) dans les limites des unités, son agencement scénique strict et son ton soutenu, ses monologues, ses récits et ses confidents, semble répondre parfaitement à l’idée qu’on se fait de la tragédie régulière à la française. En fait, si l’on y regarde de plus près, l’inspiration y contredit secrètement la forme: l’œuvre est une composition, souvent heureuse, toujours difficile, entre deux exigences contraires. À ce titre, la tragédie de Corneille est, dans l’histoire du genre, un moment de transition et de tension où subsistent, sous la discipline classique, la richesse et la verve originales du théâtre des temps modernes.

3. L’univers cornélien

Le théâtre de Corneille est moins une peinture de l’homme que la mise en œuvre dramatique d’une certaine conception du héros: c’est dire que la psychologie y cède le pas à l’affirmation des valeurs. Le héros est bien figuré selon les données de l’âme humaine, et en ce sens Corneille peut être psychologue. Mais il s’agit surtout que le héros soit admirable, et il n’est pas rare qu’il le soit aux dépens de la plausibilité, quelques précautions que Corneille prenne pour l’éviter: on s’en convaincra en relisant Rodogune , Pertharite , Horace même. Cette situation de Corneille sur un plan supra-psychologique a toujours été perçue plus ou moins clairement. C’est sans doute ce que voulait dire La Bruyère quand il écrivait que Corneille peint les hommes «tels qu’ils devraient être». Ce mot fameux proclame la nécessité, si l’on veut comprendre Corneille, de définir le modèle idéal qu’il avait en vue. Cependant, l’idéal est une matière variable, et le verbe «devoir» n’a pas toujours ni partout la même application. Les critiques qui ont essayé, pendant près de deux siècles, de définir le héros selon Corneille ont trop souvent consulté, pour en faire la loi de l’héroïsme cornélien, les commandements de leur propre morale. À qui veut aujourd’hui retrouver, par-delà telles interprétations anachroniques, un Corneille plus vrai, un effort de sympathie historique est indispensable: Corneille n’en sort nullement diminué, ni réduit à une province étroite du passé; au contraire, l’intuition du sens de l’œuvre à sa naissance et pour le public contemporain permet seule de réfléchir sans malentendu à sa portée humaine.

Variations de la critique cornélienne

À travers les opinions diverses des critiques, quelques évidences se retrouvent d’une génération à l’autre. Elles nous serviront de première approche dans la définition du héros. On a toujours remarqué dans la grandeur d’âme cornélienne une certaine exaltation du moi: on citerait aisément des observations de Guizot, Sainte-Beuve, Lemaître ou Faguet qui vont dans ce sens. Cet aspect du héros selon Corneille a été plus d’une fois expliqué par une source aristocratique: le penchant à se faire valoir et le goût de ce qui distingue sont des traits qui caractérisent historiquement la façon d’être et l’idéologie d’une classe. On a rapproché l’orgueil ombrageux des personnages cornéliens, qui les porte au défi et à la révolte, de l’état d’esprit de la noblesse moderne dans ses difficiles relations avec le monarque. Déjà Voltaire avait observé tout ce que Corneille doit à l’esprit chevaleresque lorsqu’il représente l’amour.

Malheureusement, ces intuitions ont été recouvertes par une construction systématique issue d’une interprétation toute différente. Comme les notions de sacrifice et de devoir apparaissent fréquemment dans l’explication que le héros cornélien donne de sa conduite, on l’a refait tout entier à partir de là. On l’a défini par le triomphe de la volonté et de la raison sur les impulsions du cœur, sans se demander par quelle impulsion la volonté et la raison entraient elles-mêmes en action et en supposant admis qu’elles exerçaient naturellement une fonction répressive. Ce Corneille, qu’on peut dire bourgeois ou puritain, était celui qu’on enseignait en France il y a encore peu d’années.

Depuis quelques générations, Corneille connaît un renouveau de faveur. Un peu négligé en raison même de l’idée peu attrayante que la critique traditionnelle donnait de lui, Corneille bénéficia peut-être, dans les années 1930, de l’intérêt qui s’attachait alors, pour des raisons d’ailleurs fort discutables, à toute idéologie héroïque. D’autre part, les acquisitions de l’histoire littéraire et la révision qu’elles imposaient servirent alors la connaissance de Corneille comme de beaucoup d’autres écrivains. Essais et travaux se multiplièrent et la critique cornélienne en est sortie renouvelée. Bornons-nous à signaler ici ce qui semble acquis touchant la nature du héros et la source vive de sa grandeur.

La gloire

Les contradictions de la critique au cours des générations passées s’expliquent en grande partie par une ambiguïté qui est dans Corneille même. Le héros est à la fois exalté et tendu, expansif et contraint. Mais il faut justement, pour saisir Corneille, accepter cette ambiguïté dans ses deux termes et essayer d’atteindre, derrière l’apparente duplicité, l’inspiration unique de l’héroïsme. Les héros le disent assez: leur mobile est la gloire. C’est elle qui les transporte et les enthousiasme, elle aussi qui les durcit contre eux-mêmes quand elle se voit menacée par les mouvements naturels de l’instinct. L’élan du sublime où le moi affirme sa propre grandeur et l’injonction du devoir à laquelle il se plie procèdent du même mouvement glorieux. Psychologiquement, le héros se gouverne par les démarches de l’orgueil: c’est l’orgueil qui est à la fois une puissance d’expansion et de contrôle, un instinct véhément et un adversaire ombrageux de l’instinct. Il est rare que le héros nomme expressément son orgueil (quoiqu’il le fasse parfois): c’est qu’il refuse de se définir sur le plan psychologique. La gloire, qu’au contraire il invoque sans cesse, c’est aussi l’orgueil, mais érigé en bien suprême et transposé de l’ordre du fait à celui de la valeur.

La recherche de la gloire, c’est-à-dire de l’admiration publique, n’impose pas par elle-même une morale particulière; à première vue, elle ne peut servir à définir le bien; elle le suppose déjà défini par l’opinion. Cependant, une éthique de la gloire, en acceptant d’emblée comme excellente l’ambition d’être admiré, exclut au moins une condamnation radicale de l’instinct. La gloire ne peut animer le bien que dans un monde où, dans une certaine mesure au moins, il est fait honneur à la nature humaine. Tel était le monde de la chevalerie, où l’excellence et la gloire étaient tenues pour indistinctes. Corneille et ses contemporains ont repris et élargi, avec tout l’éclat de l’humanisme moderne, cette tradition médiévale. L’homme noble avait toujours fait résider la valeur dans l’affirmation et l’idéalisation du moi; à cet égard, on peut considérer Corneille comme un des champions de la morale aristocratique au XVIIe siècle. Une telle attitude le situe évidemment dans une région spirituelle distincte du christianisme. La seule vertu que ses héros ignorent est l’humilité; ils sont d’un monde où elle n’a pas de place.

La gloire, placée au centre du théâtre cornélien, en éclaire tous les aspects et niveaux divers. La gloire la plus élémentaire est celle qui accompagne la force, le pouvoir, la certitude de n’avoir pas à craindre; à ce degré, puissance et valeur sont tout un. À un degré plus haut, qui est celui de la constance , la gloire peut s’allier à l’infortune: ainsi, quand un vaincu, par la vertu de son mépris, écrase et humilie son vainqueur, et, de façon générale, quand l’inflexibilité purifie le malheur et le change en victoire. Enfin, au plus haut de la générosité (c’est-à-dire, au sens de l’époque, de la noblesse morale), brille la gloire magnanime du pardon, de la clémence, de la modération dans une position de force. L’Auguste de Cinna , au comble de la puissance, s’assure par le pardon une supériorité définitive, en obligeant ses adversaires à mettre désormais leur honneur dans la soumission. Pour parcourir ces étapes de plus en plus méritoires de la gloire, la volonté et la raison peuvent bien servir de guides; mais le choix du but a été fait avant qu’elles n’interviennent; plus exactement, elles ne se définissent elles-mêmes qu’en fonction de ce choix: la volonté qui renoncerait à la gloire, serait bassesse; la raison qui voudrait la déprécier serait folie.

Individu et groupe social

C’est l’individu qui conquiert la gloire et qui en jouit; la gloire est, par définition, un goût et un triomphe du moi. Mais, en même temps, la gloire implique un empire de l’opinion publique, donc une suprématie du groupe, qui peut froisser durement les intérêts de l’individu. Il ne peut s’agir de l’intérêt d’argent, que la tragédie ignore; ni de l’intérêt que chacun attache à sa conservation, et qui est toujours supposé, chez le héros, moins puissant que le désir de gloire; ni des intérêts d’ambition, que la gloire ne combat guère et enseigne seulement à bien entendre. Il s’agit, essentiellement, de l’amour. C’est là qu’un penchant profond du moi peut entrer en conflit avec la loi du groupe; c’est là que s’impose un renoncement, que les appas mêmes de la gloire risquent de compenser fort mal. On sait combien le combat de l’amour et du devoir familial est fréquent dans le théâtre cornélien. Ce combat se produit rarement chez les hommes (chez Rodrigue, par exemple, dans la situation exceptionnelle où le sort l’a placé). Il est plus commun chez les héroïnes, partagées entre leur cœur et la volonté d’un père ou la loi de l’État. La gloire en elles écrase la personne: non sans lui procurer pourtant quelque revanche, car cette soumission, qui n’est de rigueur que chez les filles de haut rang, et qui les distingue du commun des femmes, exalte l’idée qu’elles ont d’elles-mêmes, et leur donne accès au seul triomphe héroïque dont leur sexe soit susceptible.

En outre, Corneille, et toute son époque, et toute la tradition à laquelle il appartient, ont conçu un amour héroïque, propre aux grandes âmes, qui puise en lui-même, dans le désir d’être bien jugé de l’être aimé, la force de renoncer à se satisfaire. Le sacrifice ainsi délibéré à deux, en accord avec la loi la plus rude, maintient intact le bien essentiel de l’amour, l’entente profonde de deux êtres, au prix du bien accessoire de la possession: par là, il semble moins entier, moins cruel. En fait, toute la subtilité de l’amour héroïque se réduit à ceci, que les exigences de la gloire sont introduites dans la définition du véritable amour et dans le sentiment qui unit les amants l’un à l’autre. S’aimer, c’est aimer ensemble la gloire. On se sacrifie donc de concert, et la tendresse et la certitude accompagnent la douleur. Le Cid est, pour une bonne part, la mise en œuvre d’une telle conception.

On comprend que le héros cornélien ait pu être tenu pour modèle dans deux sens opposés: les morales du moi et celles de l’abnégation du moi se réclament également de lui. Cette duplicité d’aspects de l’héroïsme fait écho à la structure de l’ancienne société: l’homme noble est à lui-même sa propre valeur, et se sent pris pourtant dans un ordre rigoureux; il oscille entre la prérogative de son moi et la loi que lui impose sa lignée, ou son seigneur, ou son roi, ou l’État. Le vieux mot d’honneur , au fond, représentait bien cette situation double, d’indépendance et de servitude. Devenue archaïque sous ces deux aspects, il est bien naturel que l’éthique cornélienne de la gloire ait été longtemps méconnue: ni l’ambition du moi noble, ni la sujétion de ce moi à la caste et au public n’étaient plus choses actuelles dans la France née de la Révolution. Une distance plus grande, en nous rendant aujourd’hui plus perceptible, dans sa couleur propre, ce complexe moral d’un autre temps, nous permet du même coup une sympathie plus réelle. D’ailleurs, les problèmes que pose la relation de l’individu et du groupe ont beau varier, ils se perpétuent sous d’autres formes et subsistent assez pour qu’une représentation ancienne de ces problèmes continue d’avoir sa résonance en nous.

Gloire et vertu

La découverte de la gloire à la source de l’héroïsme cornélien et la nécessité de la définir autrement que la vertu commune ont incliné certains critiques à voir dans la gloire un principe indépendant du bien, pouvant s’allier à lui ou s’en séparer, portant en tout cas sa valeur en lui-même. Il faut entendre qu’une opinion propre au héros, un orgueil en quelque sorte solitaire, se dresse contre l’opinion du public et la défie. Corneille oblige à poser cette question du fait qu’il a, une fois au moins, représenté une héroïne prestigieuse par la grandeur et l’audace sans frein de ses crimes: la Cléopâtre de Rodogune . Il est hors de doute que Cléopâtre est grande, et Corneille lui-même l’a déclarée admirable. Mais la vraie question est de savoir si elle est aussi admirable, par exemple, qu’Auguste, si l’ambition qui la grandit n’est pas imparfaite du fait qu’elle est criminelle. En faveur d’une interprétation amorale de la gloire, on peut alléguer qu’elle rejette, par définition, les normes d’une vertu moyenne, qu’elle aime à surprendre en franchissant les limites communes. Au-delà de ces limites, le héros rencontre le crime; il est capable d’y exceller: mais cette excellence dans le mal, qui implique toujours quelque servitude, n’est que le reflet terni de la gloire véritable. Les exercices parfois scabreux dans lesquels se complaît le moi cornélien face aux impératifs communs ne doivent pas nous tromper. La gloire vertueuse est finalement la seule solide, la seule qui, ayant l’éclat inégalé du désintéressement et de la victoire sur soi, la certitude de la durée et l’universelle adhésion, mérite vraiment le nom de «gloire». On peut, si l’on veut, retourner le problème et, par une réduction à l’absurde, demander comment, si la gloire était indépendante du bien, elle pourrait être érigée en valeur. La réponse est peut-être facile dans notre langage, depuis Nietzsche et beaucoup d’autres; elle est extrêmement difficile si l’on veut la faire dans des termes qui soient acceptables à Corneille et à son siècle.

Influences intellectuelles

On a beaucoup discuté des sources de l’héroïsme cornélien. Certains l’ont fait tributaire du mouvement néo-stoïque de la fin du XVIe siècle; le héros selon Corneille serait une version moderne du sage stoïcien, et Corneille aurait pour prédécesseurs les humanistes stoïcisants des générations antérieures. D’autres ont rapproché l’héroïsme selon Corneille de la générosité selon Descartes. Enfin, on a vu dans Corneille un disciple des jésuites, qui a mis en œuvre leur doctrine du libre arbitre éclairé par la raison. Aucune de ces thèses n’apporte de preuves autres que la comparaison des textes; Corneille ne s’est réclamé d’aucune école philosophique, et l’on ne peut démontrer positivement qu’aucune l’ait influencé. Mais il est curieux qu’on puisse avec d’aussi bonnes raisons faire de Corneille un stoïque, un cartésien avant la lettre, un jésuite. Et, dans les trois cas, on invoque les mêmes traits de ses créations: le pouvoir attribué à la volonté, la pensée claire fondant la conduite, la confiance dans une certaine grandeur humaine. Si les valeurs qui font vivre l’univers cornélien peuvent provenir également bien de doctrines et d’écoles si diverses, le plus sage est d’en conclure que ces valeurs sont le bien commun de son temps, que Corneille n’a eu à les emprunter à personne, et que les philosophes et lui les ont puisées à la même source, au confluent de la tradition aristocratique et de la réflexion moderne. Il faut ajouter que Corneille était plus près que les philosophes de cette source commune. Ils ont systématisé une expérience que Corneille transmettait sous sa forme vive, intensifiée dans le drame avant d’être élaborée en doctrine.

À propos du mot «gloire»

Il resterait à faire une remarque sur l’emploi même de ce mot de gloire par Corneille et les dramaturges de son temps. L’histoire du mot depuis la Renaissance mériterait une longue étude. Observons seulement que l’usage littéraire du mot «gloire» à cette époque excède, selon toute apparence, son usage ordinaire. Ce mot désignait alors, comme aujourd’hui dans la langue commune, la réputation et l’hommage public qui accompagnent les grandes actions ou les grandes œuvres, mais non, comme chez Corneille, le prestige de toute action méritoire accomplie par une personne d’un certain rang, même aussi obscure, relativement, que Chimène ou Pauline. Il est très peu probable qu’une fille noble, sacrifiant un amour à son devoir familial, eût parlé sans ridicule, ailleurs qu’au théâtre, du sacrifice fait à sa gloire, comme font constamment les héroïnes tragiques; ni même qu’un gentilhomme vengeant un affront, ou une conspiratrice du temps de la Fronde, eussent invoqué leur gloire à la façon de Rodrigue ou d’Émilie. On disait sans doute couramment «réputation» ou «honneur»; on parlait de ce qu’on «se devait» à soi-même, à son rang, aux siens; on ne disait certainement pas «ma gloire» dès qu’une épreuve se présentait. Nous avons affaire à un emploi littéraire, conventionnellement hyperbolique, du mot «gloire». On n’y prend pas garde, on est entraîné par l’éclat du mot, son évidence, sa force. Sans doute a-t-il l’avantage de désigner ce qu’il y a de commun dans des situations multiples; il nous livre l’essence de l’héroïsme. Mais il témoigne en outre d’une stylisation, d’un grandissement du modèle vivant propres à la tragédie. Le langage de la gloire est dans le théâtre cornélien, par rapport au langage réel des contemporains, quelque chose comme le masque et le cothurne des tragiques grecs.

Источник: CORNEILLE (P.)

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