PERRAULT (C.)
PERRAULT (C.)
Le plus énigmatique des grands classiques français a revendiqué la paternité de la colonnade du Louvre, mais non celle des Histoires, ou Contes du temps passé , publiées anonymement en 1697, précédées d’une dédicace de son troisième fils, Pierre Perrault Darmancour. La célébrité de ce recueil en prose a rejeté dans l’ombre une œuvre abondante, poèmes burlesques ou précieux, épopées chrétiennes, pièces de théâtre, mémoires et surtout réflexions critiques qui foisonnent d’idées neuves.
Le commis de Colbert
Né à Paris, cadet d’une famille appartenant à la bourgeoisie parlementaire, d’orientation janséniste, élevé dans l’horreur des «superstitions populaires», Perrault s’intéresse passionnément aux problèmes scientifiques qui sont débattus dans son milieu (aussi bien en mathématiques qu’en mécanique ou en hydrologie, en médecine qu’en architecture). Mais, très tôt, il découvre que c’est la littérature qui constitue sa vraie vocation.
Étudiant en droit civil, il est reçu avocat à Orléans, mais ne plaide guère et publie en 1653 un poème burlesque écrit en collaboration avec ses frères (dont Claude Perrault, le futur «médecin-architecte», auteur présumé du Louvre),
Les Murs de Troie , qui attaque avec verve l’Antiquité. Commis de son frère Pierre, receveur général des Finances de Paris, il le quitte en 1663 pour entrer au service de Colbert. Pendant vingt ans, il travaille auprès du puissant ministre, d’abord comme commis, puis comme contrôleur général des Bâtiments, et, à partir de 1672, comme académicien. Plus particulièrement préposé, semble-t-il, à la mise en place et à l’organisation de l’absolutisme dans le secteur des intellectuels, il dirige avec Jean Chapelain le service de la propagande royale, clé de voûte du système, et, à ce titre, suscite et corrige les éloges et explications de la politique du roi et distribue les gratifications destinées aux artistes ralliés. Il porte aussi les instructions de Colbert aux diverses Académies qui viennent d’être créées, compose des devises – en latin – célébrant les victoires et les réalisations de Louis XIV, surveille l’édification des palais et des monuments destinés à donner une haute idée de la magnificence royale. L’inimitié de Racine, de Boileau et surtout celle de Louvois lui font perdre sa place en 1683, quelques mois avant la mort de Colbert. Pour la reconquérir, il joue la carte de l’«humanisme dévot» et publie, peu après la révocation de l’édit de Nantes,
Saint Paulin , épopée chrétienne qui rappelle, contre la «
galanterie» de Racine, les exigences de l’«art moral»; puis, en 1687, il relance à l’Académie française la vieille «querelle des Anciens et des Modernes» avec un retentissant poème,
Le Siècle de Louis le Grand , qui, habilement, associe l’Antiquité au paganisme et l’art «
moderne» à l’influence du roi et au christianisme, étape décisive dans l’évolution de l’humanité.
Entraîné malgré lui dans une longue polémique, il publie entre 1688 et 1696 les quatre volumes du Parallèle (entre les Anciens et les Modernes), qui peut être considéré comme une des premières recherches de littérature comparée, et un recueil de biographies critiques, Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant le XVIIe siècle , ouvrage tendancieux qui contribue à créer le mythe du «siècle de Louis XIV», mais qui est plein de renseignements de première main sur l’époque.
Les dernières années de la vie de l’artiste sont assombries par un drame: son fils Pierre,
né en 1678, l’auteur présumé des fameux contes, est impliqué dans un meurtre quelques semaines après leur parution et condamné à une lourde amende; il meurt à vingt et un ans. Très attaqué à propos de la colonnade du Louvre dont il s’attribue le mérite, l’ancien commis de Colbert entreprend la rédaction des
Mémoires de ma vie , vivant plaidoyer
pro domo qui présente l’auteur et ses frères comme les véritables inspirateurs de l’art de l’époque. L’œuvre, qui reste inachevée, publiée par l’architecte Patte en 1757, ne sera connue dans son texte authentique qu’en 1909, grâce à Paul Bonnefon. En 1699 paraît le seul volume que Perrault a publié sous sa signature à l’intention de la jeunesse:
les Fables de Faërne , traduction et adaptation d’un recueil latin de Faërne, écrivain italien de la Renaissance. L’académicien meurt à Paris à l’âge de soixante-quinze ans.
Les « Contes »: leur succès et leurs problèmes
Charles Perrault est-il le créateur de la littérature pour la jeunesse, comme on le dit souvent? Il faut noter d’abord qu’au XVII
e siècle les enfants ne constituent pas un public distinct; la littérature enfantine n’est pas un genre attesté, sauf peut-être dans le secteur de l’art oral, où les contes d’avertissement, certaines histoires d’animaux et certaines formulettes renvoient à ce type d’auditoire. Signalons aussi que l’orientation pédagogique de Perrault est tardive. Elle semble avoir été déclenchée par une polémique avec Boileau au sujet de l’art moral et des femmes. Perrault écrit
Griselidis en 1691, d’après Boccace et d’après un livret de colportage fort répandu, pour protester contre
La Matrone d’Éphèse de La Fontaine et pour célébrer la fidélité et la patience dont les femmes sont capables. Cette longue nouvelle est suivie de deux autres, également en vers,
Les Souhaits ridicules et
Peau-d’Âne. Ces trois contes, regroupés en 1694, s’enrichissent en 1695 d’une préface qui critique l’immoralité des contes antiques et vante les enseignements contenus dans les contes modernes, c’est-à-dire dans les histoires qui, d’après Perrault, datent d’une période où le christianisme a vaincu le paganisme.
En 1695, un cahier calligraphié par un copiste et richement relié est offert à Mademoiselle, petite-nièce de Louis XIV. Il contient cinq «contes de ma mère l’Oye», expression générique inscrite dans une pancarte qui sert de cartouche au frontispice de F. Clouzier et qui signifie à l’époque «contes de bonne femme». Le recueil contient, dans l’ordre:
La Belle au bois dormant ,
Le Petit Chaperon rouge ,
La Barbe-Bleue ,
Le Chat botté ,
Les Fées. En février 1697, le recueil paraît chez Barbin, augmenté de trois nouveaux récits:
Cendrillon ,
Riquet à la houppe et
Le Petit Poucet. Il est accueilli avec faveur, repris en Hollande par l’éditeur pirate Moetjens et connaît au moins trois réimpressions avant la mort de Perrault. Dès les premières années du siècle, le recueil lui est attribué, attribution que conteste, mais peut-être avoue ainsi de manière détournée, la préface, signée Pierre Darmancour. Il y précise que ces «bagatelles» se racontent «dans les huttes et dans les cabanes» et explique que son seul mérite est d’avoir collecté ces contes. Tout au long du XVIII
e siècle, la plupart des récits en prose sont repris dans la littérature de colportage, puis réédités en tête du
Cabinet des fées , vaste compilation en trente-sept volumes parue entre 1785 et 1787 et qui témoigne de l’intérêt qu’un large public porte à cette littérature traditionnelle. Remarquons en passant que la version en prose de
Peau-d’Âne , généralement attribuée à Perrault, n’est pas de lui: elle a été publiée pour la première fois anonymement en 1781 dans l’édition Lamy, précédée d’une épître à Éléonore de Lubert, femme de lettres qui meurt en 1789.
Le succès des contes de Perrault, qui ne s’est pas démenti depuis leur publication, prend des proportions gigantesques au XIXe siècle, en particulier après la loi de Guizot sur l’instruction primaire (1833). Le public populaire, au moment où sa culture est menacée par la diffusion de l’imprimé, semble s’être raccroché à ce recueil où il retrouve quelques contes de voie orale choisis parmi ceux qu’il aime le plus et rédigés dans un style sobre et efficace. C’est aussi l’époque où les romantiques, influencés par les recherches des frères Grimm, découvrent l’œuvre et la comparent aux plus grandes. En même temps, un public enfantin se constitue et se créent les premières «collection pour la jeunesse». Les fameux récits y figurent naturellement aussitôt.
Ce surprenant petit livre pose encore bien des énigmes. Et pour commencer celui de son véritable auteur. Charles Perrault l’a certainement revu et corrigé: on reconnaît sa manière et ses préoccupations personnelles dans un grand nombre de détails; mais très rares sont les œuvres qu’il n’a pas écrites en collaboration. En l’occurrence, il semble avoir travaillé à partir d’un recueil de contes notés par son fils Pierre, alors âgé de dix-sept ans, dont il a conservé avec soin la simplicité pleine d’émotion et les naïvetés. L’analyse critique révèle aussi qu’il ne s’agit pas d’une collecte pure et simple de versions authentiquement populaires, mais bien davantage d’une reconstitution savante, d’une sorte d’«à la manière de», qui utilise habilement les archaïsmes et les expressions considérées à l’époque comme «basses» et qui associe subtilement les croyances du temps jadis et une ironie qui, pour ainsi dire, les désamorce de l’intérieur. La verve antisuperstitieuse de l’adaptateur s’exerce en particulier aux dépens de la féerie, ce qui contribue à donner à l’œuvre son ton inimitable, à l’avance accordé au besoin de merveilleux de l’enfance et à son désir de ne pas y croire tout à fait.
Un seul de ces huit contes, Le Petit Chaperon rouge , appartient au répertoire spécifiquement enfantin des récits de «mise en garde». Mais la confusion entre le répertoire populaire et le répertoire enfantin a validé l’amalgame de l’artiste qui, par surcroît, écrivant à une époque où les contes sont à la mode, multiplie les clins d’œil en direction du public mondain et saupoudre la fausse innocence de son récit de sous-entendus fort libres.
Источник: PERRAULT (C.)