C’est dans une petite ville de Pennsylvanie, Shillington, dont la topographie familière est au cœur de son œuvre, que John Updike est né, en mars 1932. Dans ce territoire de l’enfance, avec ses trottoirs craquelés, sa terre battue, ses poteaux télégraphiques, il se repère, trouve une précaire assise, mais dès qu’il s’éloigne vers la périphérie, c’est pour se sentir traqué par une double panique: ce lieu pastoral, la petite ville de l’Amérique du XIX
e siècle, est à la lisière entre le monde obscur des terres où, troublé par les émois de la sexualité, on s’enlise et l’asphalte de la grande ville où vous guette, sous les lumières du néon, une corruption plus inquiétante encore. L’influence luthérienne, forte en pays allemand de Pennsylvanie, se fait sentir très tôt chez ce puritain chroniqueur du quotidien. Enfant pendant la Dépression et la Seconde Guerre mondiale, il appartient à cette génération «
silencieuse» qui a atteint l’âge d’homme à l’époque du maccarthysme et d’Eisenhower et qui, venue trop tard pour le tumulte des grands combats, trop tôt pour l’hirsute rébellion beatnik, vit l’histoire comme une menace de cataclysme, la peur d’une dépossession dont John Updike a particulièrement su transcrire le retentissement à travers la peinture intimiste (il a une grande admiration pour Vermeer) de la classe moyenne américaine. Jeune homme «monté en graine avant d’avoir mûri», il entre à seize ans et demi à Harvard puis, après un an à Oxford (1954-1955),
où il étudie la peinture et l’histoire de l’art, travaille au
New Yorker : ses parodies et ses poésies de circonstances ont d’ailleurs le charme élégant, l’esprit XVIII
e siècle de cette revue dont il fut un fleuron. L’inspiration religieuse qui lui fait lire Kierkegaard et le théologien Karl Barth se conjugue avec l’influence de Joyce (et plus tard de Nabokov) dès son premier roman,
The Poorhouse Fair (1959),
où la référence au martyre de saint Étienne soutient et structure le récit d’une fête dans une maison de retraite pour vieillards.
Cœur de lièvre (
Rabbit, Run , 1960) est l’histoire d’Harry, dit «Rabbit» Angstrom qui, nostalgique du temps où libre de toute pesanteur il était la star de l’équipe de basket, se sentant aujourd’hui enlisé dans l’ornière du quotidien domestique, s’arrache à la chair obèse de sa femme et court, comme un lièvre, dans une fugue panique à la recherche des grands bois et d’une Amérique perdue. On le retrouve, quelques années plus tard, dans
Rabbit rattrapé (
Rabbit Redux , 1971) qui, l’été de 1969, alors que les astronautes voguent vers la Lune, dit les angoisses d’une Amérique menacée par le recroquevillement et la décadence.
Rabbit est riche (1981), nous montre un personnage embourgeoisé s’efforçant de lutter contre l’ennui et le vieillissement. Le cycle de Rabbit se clôt avec
Rabbit au repos (
Rabbit at Rest , 1990). Dans
Le Centaure (
The Centaur , 1963),
son Portrait de l’artiste , Updike montre magistralement sa capacité à utiliser une charpente mythique (l’agonie du Christ au Golgotha, le supplice de Prométhée) pour mieux rendre et le trouble d’un éveil érotique et la texture, le grain, du quotidien. Paru en 1968,
Couples fut un grand succès commercial : sous la houlette d’un «roi du chaos» et à l’ombre du clocher de la vieille église puritaine, les couples d’une petite ville du Massachusetts meublent la vacuité morale de leur vie par une «
ronde», fête érotique où Updike voit le symptôme de son pays en crise, un monde dont Dieu s’est éclipsé et qui court à la catastrophe. Dans
Un mois de dimanches (
A Month of Sundays , 1975), le révérend Marshfield, qui à quarante ans est en proie au démon de midi, passe, dans une maison de repos pour ecclésiastiques, trente et un jours, narrés en trente et un chapitres, loin de ses paroissiennes et des tentations de la chair, confirmant s’il le fallait les préoccupations profondes de John Updike qui est aussi le romancier de l’amour conjugal avec ses heurts, ses déchirements et ses petits bonheurs (
Marry Me , 1976) et de l’amour-passion transcendant les classes sociales (
Brazil , 1994), un parodiste hors pair (
Bech, a Book , 1970, et
Bech is Back , 1982) et le plus attentif analyste des espoirs et des angoisses d’une vieille Amérique qui ne trouve plus l’espace si vaste ni le ciel si bleu qu’autrefois. Ces espoirs, ces angoisses se retrouvent, à d’autres égards, dans
Le Putsch (1980) et
La Concubine de saint Augustin (1981).