MANSFIELD (K.)
MANSFIELD KATHERINE (1888-1923)
De ses jeunes années, vécues en Nouvelle-Zélande auprès d’une mère peu attentive fatiguée par de nombreuses maternités et d’un père «
bourgeois» et distant, Katherine Mansfield garde à la fois la nostalgie et une certaine rancœur contre ce qui lui semble représenter l’étroitesse d’esprit et le provincialisme d’une lointaine cité coloniale. Envoyée à treize ans faire ses études à Queen’s College à Londres, elle retourne en 1906 à Wellington où elle mène la vie mondaine des jeunes filles à marier, s’ennuie et écrit des poésies enfantines. Deux ans plus tard, elle obtient de ses parents la permission de retourner vivre dans la capitale, moyennant une modeste pension. D’emblée, Londres lui apparaît comme le centre actif de toute vie culturelle, et son admiration passionnée pour Oscar Wilde et pour les «décadents» anglais l’initie à cette liberté intellectuelle qui lui sera si chère. Après des débuts comme violoncelliste, de la musique son intérêt se déplace vers la littérature à laquelle elle décide de se consacrer définitivement. Dès son arrivée dans la capitale, elle écrit une excellente nouvelle:
La Lassitude de Rosabel . En 1909, après un mariage éclair avec le pianiste George Bowden (elle reprend sa liberté au bout de vingt-quatre heures de vie commune), elle séjourne à Wörishofen (Bavière) où elle écrit une série de courtes nouvelles satiriques inspirées des incidents de son séjour et qui seront publiées en 1911 sous le titre
Pension de famille allemande (
In a German Pension ). De retour en Angleterre, elle lit et pastiche Tchekhov, collabore à des revues,
The New Age ,
Rhythm ; cette dernière fut fondée par John Middleton Murry qui deviendra son compagnon puis, après son divorce, son mari en 1918. À cette même revue collaborent Derain, Picasso, Francis Carco avec qui elle aura une aventure lors d’un séjour à Paris en 1913. La Première Guerre mondiale provoque chez elle un ébranlement spirituel et l’amène à se tourner petit à petit vers son enfance comme vers une porte de salut. Après la mort à la guerre de son unique frère, elle se réfugie dans le souvenir de sa vie telle qu’ils l’avaient vécue en Nouvelle-Zélande.
Prélude marque cette étape et cet idéal qu’elle poursuivra désormais dans ses errances entre Londres, la Suisse et surtout la France où elle est en quête d’un repos impossible, de l’oubli de ses chagrins et de cette maladie, la tuberculose, qui l’a atteinte et qui ne la lâchera plus. En 1920 paraît
Félicité et autres contes (
Bliss ) puis, en 1922, son recueil majeur,
La Garden-Party , d’inspiration théosophique; elle renonce pour un temps à écrire. C’est là que la mort la saisit brutalement, alors qu’elle écrivait dans son journal: «Maintenant que j’ai beaucoup lutté, je ne lutte plus [...]. Je me sens heureuse, très profondément; tout est bien.»
Bien qu’elle n’ait livré à la postérité littéraire que soixante nouvelles, un journal et des lettres, Katherine Mansfield s’impose pourtant comme l’un des auteurs les plus remarquables dans le domaine de la nouvelle brève où elle accomplit une révolution. Très exigeante vis-à-vis d’elle-même, Katherine Mansfield a une haute conception de son métier: «Pour se rendre digne d’être écrivain, il faut se purifier, se détacher.» C’est ce vers quoi elle porte tous ses efforts, de plus en plus préoccupée par le «
vrai» de ce qu’elle écrit. Ses récits ne sont même pas soutenus par une intrigue; pour elle, il suffit de l’évocation d’un état d’âme, avec un va-et-vient constant entre le présent et le passé: deux sœurs vieilles filles au lendemain de la mort de leur père (
Les Filles de feu le colonel ), une domestique au service d’un monde égoïste (
La Femme de chambre ), ou William, le mari déçu d’
Un mariage à la mode . Il ne se passe rien dans le temps d’une nouvelle et, à la fin, la vie continue comme avant, du moins en apparence. L’auteur ne choisit pas non plus des moments de crise mais, au contraire, nous précipitant dans l’intimité d’une conscience ou d’une famille, elle nous présente un jour pareil aux autres. Ainsi, on attendra en vain la description de certaines scènes, de certains événements comme la fête dans
La Garden-Party . «La vérité, c’est que, dans une nouvelle, on ne peut mettre qu’un certain nombre de choses. Il y a toujours un sacrifice à faire. On est forcé de taire ce que l’on sait et qu’on voudrait tant utiliser.» Seul importe de ressusciter un morceau de vie, de créer une ambiance affective pour permettre aux personnages de se révéler. Loin d’être des héros, ceux-ci n’existent que d’une manière floue, ambiguë, bien que parfois un trait psychologique, un détail isolé prononcé puissent les caricaturer. Ils appartiennent le plus souvent au monde miraculeux de l’enfance, thème de prédilection de Katherine Mansfield. En effet, ses récits sont peuplés d’enfants (
Prélude ,
Sur la baie ) qui parlent et agissent comme de vrais enfants, de jeunes filles à peine sorties de l’enfance, pays du rêve, et qui s’intègrent difficilement dans le monde réel des adultes.
Katherine Mansfield est aussi un écrivain pessimiste. Ses livres évoquent tous l’histoire d’une vie au sein de laquelle surgissent la laideur, le mal. L’être sensible reste seul dans un monde capable uniquement de le faire souffrir. C’est ce même être vulnérable qu’on retrouve dans le
Journal : une personnalité exacerbée, en mal de compréhension, de communicabilité, que le refus de s’attendrir conduit jusqu’à la dérision de soi-même. En effet, Katherine Mansfield n’a écrit que dans la solitude et la souffrance, à la recherche d’un univers perdu, peut-être celui de l’enfance, qu’elle tente avec ardeur de faire renaître. À titre posthume furent publiés son
Journal (1927) et sa correspondance (
The Letters of Katherine Mansfield , 1928).
Источник: MANSFIELD (K.)