ZOLA (É.)
ZOLA (É.)
Né à Paris le 2 avril 1840, fils d’un ingénieur d’origine vénitienne, François Zola, et d’Émilie Aubert, Émile Zola passe son enfance et son adolescence à Aix-en-Provence. Au collège Bourbon, il a pour très proches camarades Paul Cézanne et Jean-Baptiste Baille. Revenu à Paris avec sa mère, il entre en 1858 au lycée Saint-Louis, mais échoue au baccalauréat. Suivent alors deux grandes années de relative inaction. L’entrée à la Librairie Hachette, où il sera chef de la publicité de 1862 à 1866, lui ouvre les portes du métier littéraire. Il y fait la connaissance de nombreux écrivains et journalistes, lit Taine, Stendhal, Balzac, Flaubert, publie ses premiers contes et articles, et abandonne sa vocation de poète pour se tourner vers le roman.
Survol biographique
Son premier roman,
La Confession de Claude , inspiré d’une ancienne et malheureuse expérience passionnelle, paraît en 1865. Vivant désormais de sa plume, Zola publie successivement
Le Vœu d’une morte (1866),
Thérèse Raquin , coup d’envoi de l’esthétique naturaliste (1867),
Les Mystères de Marseille (1867),
et Madeleine Férat (1868). Son éloge des Goncourt, de Taine et de Courbet, dans
Mes Haines (1866), de Manet, de Sisley, de Pissarro, de Monet,
dans Mes Salons (1866-1868), lui donne une image de critique d’avant-garde. Ses chroniques dans les journaux républicains, de mai 1868 à l’effondrement de l’Empire, évoluent entre le tableau poétique des paysages et des mœurs du temps et une polémique politique virulente. Il fait ainsi ses gammes pour
Les Rougon-Macquart .
Zola a épousé Alexandrine Meley le 31 mai 1870, et a vécu à Marseille, puis à Bordeaux, entre septembre 1870 et mars 1871. La composition du cycle des Rougon-Macquart va l’occuper près d’un quart de siècle, de 1871 à 1893. Tout en rédigeant la chronique parlementaire de
La Cloche en 1871-1872, et des centaines d’articles pour
Le Sémaphore de Marseille de 1871 à 1877, il publie
La Fortune des Rougon et
La Curée (1871),
Le Ventre de Paris (1873),
La Conquête de Plassans (1874),
La Faute de l’abbé Mouret (1875),
Son Excellence Eugène Rougon (1876),
L’Assommoir (1877). Les audaces de ce dernier roman lui apportent le succès et le scandale. Sa stature de leader d’une nouvelle école romanesque s’affirme, entre 1875 et 1880, à la fois par des œuvres comme
L’Assommoir et
Nana (1880), et par ses chroniques dramatiques et littéraires du
Bien public , du
Voltaire et du
Figaro , réunies en 1881-1882 dans cinq recueils critiques:
Le Roman expérimental ,
Les Romanciers naturalistes ,
Le Naturalisme au théâtre ,
Documents littéraires et
Une campagne , auxquels se joignent deux recueils de nouvelles,
Le Capitaine Burle (1882) et
Naïs Micoulin (1884). Parallèlement, il a tenté sa chance au théâtre:
en vain.
Les Zola sont désormais «installés». La fortune est arrivée, avec les tirages confortables, et massifs pour certains, de
Nana ,
Pot-Bouille (1882),
Au bonheur des dames (1883),
La Joie de vivre (1884),
Germinal (1885),
L’Œuvre (1886),
La Terre (1887). Cependant, Zola ressent douloureusement les crises de la quarantaine, la mort des proches (sa mère, Flaubert, Duranty, Tourgueniev et Manet), l’éloignement littéraire d’écrivains qui furent un temps ses disciples, comme Huysmans et Maupassant, les attaques grossières des auteurs du Manifeste des Cinq contre
La Terre en 1887 – compensées par la fidélité d’un Paul Alexis, ou, à partir de 1888, du musicien Alfred Bruneau. Le bouleversement intime de l’année 1888 marque donc à la fois un aboutissement et un nouveau départ. Une jeune femme, Jeanne Rozerot, devient sa seconde compagne, et lui donne deux enfants. Zola trouve ainsi une nouvelle énergie, qui lui permet d’achever
Les Rougon-Macquart (
Le Rêve , 1888;
La Bête humaine , 1890;
L’Argent , 1891;
La Débâcle , 1892;
Le Docteur Pascal , 1893), et d’apparaître désormais comme le maître incontesté du grand roman de la tradition réaliste et critique, après Balzac, Stendhal et Flaubert. Deux autres cycles romanesques, plus courts, mais avec des œuvre plus touffues, prennent immédiatement la suite: le cycle des
Trois Villes (
Lourdes , 1894;
Rome , 1896;
Paris , 1898), encore tourné vers l’observation des sociétés contemporaines, et celui des
Quatre Évangiles , qui projette dans l’avenir une utopie sociale et politique restée inachevée (
Fécondité , 1899;
Travail , 1901;
Vérité , 1903; notes pour
Justice ).
Les dernières années de Zola sont dominées par l’affaire Dreyfus et ses contrecoups. Après la Lettre à la France et la Lettre à la jeunesse (fin de 1897), l’article publié dans L’Aurore sous le titre «J’accuse...!» déclenche une campagne d’où surgiront la cassation du procès de 1894, mais aussi la condamnation de Zola à un an de prison, et son exil à Londres, du 8 juillet 1898 au 5 juin 1899. Après le second procès d’Alfred Dreyfus, sa nouvelle et stupéfiante condamnation, et sa grâce, Zola continue son action, pour obtenir la réhabilitation de l’officier (La Vérité en marche , 1901). Celle-ci sera acquise en 1906. Mais, dans la nuit du 28 au 29 septembre 1902, il meurt asphyxié, peut-être à la suite d’une malveillance ayant pour origine son combat aux côtés de Dreyfus.
Le naturalisme
De la Préface de la deuxième édition de
Thérèse Raquin au
Roman expérimental (1880), Zola a élaboré une théorie générale du roman, qui lui sert à la fois d’étalon de mesure pour juger ses prédécesseurs et ses contemporains, et de modèle de production romanesque. Il a emprunté les termes
naturaliste et
naturalisme , à la fois aux sciences biologiques, à la philosophie, où, depuis le XVI
e siècle,
naturaliste a été le synonyme de
matérialiste et d’
athée , et au vocabulaire des beaux-arts, où
naturalisme désigne une représentation authentique et expressive de la nature et des corps. C’est en ce dernier sens que Stendhal, Baudelaire, Taine ont employé ces deux mots. Zola connaît sans doute aussi l’usage que fait de l’équivalent russe,
naturalnyi , la critique russe, pour l’opposer à «l’école rhétorique». Il fond ensemble tous ces héritages conceptuels pour en faire une machine de guerre contre la tradition académique du Beau idéal.
Son idée dominante est l’exigence de vérité dans l’art, et en particulier dans le roman. La vérité naturaliste se veut le résultat d’une démarche comparable à celle de la science:
observation,
documentation,
analyse,
expérimentation, déterminisme... Elle se définit aussi par ses refus: elle rejette toutes les formes de l’idéalisme, du dogmatisme et de la censure. Seule compte «l’humanité vue et peinte, résumée en des créations réelles et éternelles» (
Le Naturalisme au théâtre ). Le souci d’allier la «méthode analytique» et la «personnalité» de l’artiste crée évidemment une tension au sein de la théorie naturaliste. Mais il montre que chez Zola le créateur ne se laissera jamais enfermer dans le corset des certitudes esthétiques.
Zola n’a pas insisté outre mesure sur l’idée – illusoire – que la méthode expérimentale était commune au savant et au romancier. Mais les valeurs naturalistes fondamentales lui ont permis de juger exactement le roman et le théâtre de son temps. Au surplus, le naturalisme théorique et critique de Zola a été en son temps une forme de la vérité moderne, par l’influence qu’on y décèle de la pensée et de la méthode biologiques. Les maîtres à penser sont ici Darwin et Claude Bernard. La vigueur de la campagne naturaliste a contribué à donner au roman contemporain – à commencer par Les Rougon-Macquart – son constituant le plus novateur: la découverte et le dévoilement du corps, dans sa nudité et ses désirs. Et l’idée même d’«un roman expérimental», inacceptable au pied de la lettre, retrouve en profondeur une validité, car elle métaphorise le programme même de toute activité narrative, qui organise pour le héros une série de péripéties en tous points comparables à des expériences.
Les Rougon-Macquart ont pour sous-titre: «Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire».
Les Trois Villes ont pour époque de référence la dernière décennie du XIX
e siècle.
Les Quatre Évangiles se situent à la fois dans l’époque contemporaine et dans le siècle futur. L’ensemble de cette œuvre romanesque est à prendre au sérieux par l’historien. Car il résulte d’enquêtes de première main – aux Halles, dans les théâtres, au Bon Marché, au fond des galeries de mine, à travers les campagnes de Beauce, etc. Partout, Zola accorde la vision du peintre et celle du sociologue, attentif à toutes les contraintes et à tous les rituels qui règlent la vie quotidienne d’un peuple. Il propose au public d’aujourd’hui une somme où peut se reconnaître et s’enrichir la mémoire collective. Mais cette histoire est aussi une histoire
naturelle , c’est-à-dire organique, où les motifs et les fatalités du corps complètent les motifs et les fatalités de la vie sociale.
Un maître du récit
Zola a mis au point très tôt les éléments de sa technique romanesque: le métier et l’art de la composition, l’aptitude à créer des personnages nombreux, bien typés et étroitement dépendants les uns des autres, et la maîtrise de la dynamique narrative. Avant d’écrire un roman, il construit plusieurs plans successifs, auxquels s’ajoutent un fichier des personnages et de nombreuses notes d’enquêtes et de lectures. Il calcule les proportions de l’œuvre en ménageant toutes sortes de symétries, et en équilibrant le récit, le dialogue, la description et l’analyse. La part des «paysages», sous l’influence de la peinture impressionniste, est importante; mais le nombre et le rythme ne le sont pas moins, donnant à chacun de ses romans une signification symbolique et un aspect orchestral. Treize chapitres pour L’Assommoir , par exemple: chiffre fatidique, mais aussi chiffre de la symétrie, avec six chapitres d’un côté, six chapitres de l’autre, et le chapitre pivot de la fête de Gervaise. Le naturalisme ne craint pas, on le voit, de s’achever en formalisme.
Le système des personnages est tout aussi rigoureusement constitué. On peut reconnaître en eux des types professionnels et sociaux, c’est vrai, conformément à l’esthétique naturaliste. Mais, de plus, chacun exerce une fonction dans un jeu proprement dramatique, se selon d’autres nécessités que celles de la vraisemblance. Tout d’abord, comme l’a montré Philippe Hamon, chaque personnage peut prêter au narrateur soit son regard, soit son écoute, soit son savoir-faire, pour que la représentation du réel passe par son relais et apparaisse du même coup comme plus authentique et comme mieux insérée dans la fiction. Ensuite, ce «
personnel» romanesque se distribue toujours, d’un roman à l’autre, en grands rôles interdépendants. Comme dans les tragédies et les épopées, un héros, porté en avant par un désir – le désir de la richesse, du pouvoir, de la femme, ou de la justice –, ou simplement instrument d’un dessein de la nature ou de l’histoire, trouve en face de lui des rivaux ou des adversaires (Lantier et Chaval,
dans Germinal , Jean Macquart et Buteau dans
La Terre ), pour un combat sans merci; à ses côtés, des auxiliaires qui l’assistent, tel Maheu, dans
Germinal ; à ses côtés aussi, éventuellement, les bénéficiaires de son action (Catherine Maheu,
dans Germinal ) ou au contraire ses victimes (Muffat,
dans Nana ). Le héros est d’ailleurs toujours problématique, en proie à l’échec ou au doute:
c’est la «fêlure» originelle des Rougon-Macquart, symbolisée par la folie de l’aïeule fondatrice. Les lois de l’hérédité sont à la fois énergétiques et dissolvantes. Troisième levier de ce génie narrateur: la logique dramatique. L’itinéraire du héros s’inscrit le long d’une courbe fertile en péripéties. L’histoire de Gervaise Macquart, dans
L’Assommoir , en fournit le plus bel exemple. Plusieurs programmes narratifs se partagent le roman, et estompent par là l’effet de roman populaire, toujours efficace. On lira différemment une même œuvre selon qu’on suivra le parcours d’un personnage ou celui d’un autre. Rares sont les romanciers qui ont exploité avec autant de sûreté les contraintes de la fiction.
Thèmes, symboles et mythes zoliens
En dépit de l’austérité des thèses sur le naturalisme, le roman zolien révèle des images intérieures et des obsessions qui l’apparentent à tous les grands courants d’inspiration surgis du romantisme, et qui conduiront jusqu’au surréalisme. On est très éloigné d’avoir exploré la totalité de cette thématique.
Thèmes de la nature: le paysage est souvent plus expressionniste qu’impressionniste chez Zola, qui prête à la matière les pulsions du vivant, et même d’un vivant névrotique, anxiogène, en tout cas ambivalent, toujours travaillé par des inversions de signes, la terre nourricière se transformant en terre meurtrière, le feu en incendie, éros en thanatos.
Thèmes du corps: il en va de même pour le corps et ses affects. Zola est le premier grand romancier de la bouche, du ventre et du sexe, dans une vision qui reste puritaine, mais qui s’est donné la force – rare pour l’époque – de briser les censures du
cant victorien, et de représenter sur la scène textuelle, selon ses propres mots, tous les «appétits» et aussi bien toutes les frustrations et tous les interdits. Encore les figurations inconscientes, ou peu conscientes, en disent-elles plus long que les scènes explicites. On a pu noter, en particulier, la récurrence des situations œdipiennes et des symboles qui découvrent le sexe féminin dans un double mouvement d’attirance et de répulsion, et le parcours qui conduit le héros zolien, d’un bout à l’autre de l’œuvre, à sublimer sa «nausée» en cherchant le «
salut» dans une possession idéalisée de la femme, devenue à la fois épouse, sœur et servante des grands desseins de l’homme, comme dans l’«Évangile» laïc de
Travail .
Thèmes et images du peuple: à une vision morale et esthétique neuve du corps se combine une vision également nouvelle du peuple. Zola réunit les images burlesques et carnavalesques de l’héritage rabelaisien et moliéresque (
qu’on pense aux agapes de la fête de Gervaise ou à la ducasse de
Germinal ), et la prise au sérieux de la condition populaire, qui s’est imposée de plus en plus nettement dans le cours du XIX
e siècle. Il institue une relation profonde entre la liberté de la fête et celle de la révolte. Il métaphorise la foule dans des images de torrent, de mer ou de meute, qui associent la dynamique des mouvements populaires à celle des forces naturelles. Pour lui, la puissance autonome des masses ouvrières est un agent radicalement nouveau – et quelque peu effrayant – du cours de l’histoire. Et, pourtant, la foule perd sa bataille contre l’institution: le grand moteur de la révolution, comme celui de toutes les machines, réelles et métaphoriques, des
Rougon-Macquart , est soumis à la loi de dégradation de l’énergie.
Tous ces motifs entrelacés et démultipliés, communs à Zola et à plusieurs de ses devanciers, à commencer par Hugo et Balzac, donnent à son œuvre un profil tout à fait singulier, du fait de leur double association, d’une part avec l’encyclopédisme de ses observations sur le détail des conditions et des mœurs (
qu’un Hugo, par exemple, est très loin de partager), d’autre part avec la structuration mythique du système des personnages et des situations narratives. L’exemple le plus explicite est fourni par
La Curée , où Renée et Maxime retrouvent leur propre histoire, en abîme, dans le spectacle que leur offre une représentation de
Phèdre . Mais l’arrière-texte de la plupart des grands
Rougon-Macquart laisse apparaître des structures comparables, s’ordonnant autour des archétypes que l’imaginaire universel a depuis longtemps incarnés dans les personnages des grands mythes païens ou chrétiens:
Prométhée, Œdipe, Orphée, Thésée... ou saint Étienne, le saint patron d’Étienne Lantier, lapidé comme lui par ceux qu’il aurait aimé sauver. Mythes de fondation et de veille, mythes d’amour, de conquête, de faute et de rachat, de désir et d’interdit, de destruction et d’utopie: tous sont présents dans
La Fortune des Rougon ,
Le Ventre de Paris ,
Nana ,
Au bonheur des dames ,
Germinal ,
La Débâcle ,
Fécondité ,
Travail , etc. Et tous répètent à l’infini une axiologie de valeurs opposées, entre lesquelles Zola cherche difficilement la voie de ses certitudes idéologiques: à l’imaginaire tragique des
Rougon-Macquart se substitueront dans
Les Quatre Évangiles les valeurs de la fécondité, du travail, de la justice et de la paix. Mais le renvoi de leur triomphe dans un avenir utopique les frappe évidemment de fragilité. Tout au plus peut-on dire que, par le truchement du mythe, Zola démystifie le lecteur qui accorderait trop de validité historique et documentaire aux
Rougon-Macquart . Il l’aide à comprendre à la fois le mouvement de l’histoire et à mettre en question ses propres convictions idéologiques. Surtout, il l’incite à relier cette création romanesque, que Flaubert qualifiait de «
babylonienne», au légendaire de tous les temps.
Источник: ZOLA (É.)