CHRISTIE (A.)
CHRISTIE (A.)
Romancière britannique, auteur de quatre-vingts ouvrages, pour la plupart policiers, d’une vingtaine de pièces de théâtre et de plusieurs recueils de nouvelles, Agatha Christie représente un des plus grands succès littéraires du XXe siècle. Elle a contribué à fixer les règles du roman policier de type classique où le meurtre et l’enquête se déroulent en lieu clos et dont les détectives, Hercule Poirot comme Miss Marple, résolvent l’énigme par la rigueur du raisonnement et la pénétration psychologique. La complexité de l’intrigue, l’ingéniosité de la machination criminelle et le caractère inattendu de la solution du problème, malgré les indices dont le texte, jusque dans sa lettre, est saturé, contrastent avec le cadre souvent familial et traditionnel des maisons anglaises où se déroulent ses drames; cela confère à ses romans tous les aspects d’un divertissement intellectuel.
Éléments de biographie
Agatha Christie, de son nom de jeune fille Agatha Mary Clarissa Miller, est née à Torquay (
Devon), d’une mère anglaise et d’un père américain. Celui-ci meurt lorsqu’elle est encore enfant. Sa mère lui donne une éducation originale et l’encourage précocement à écrire. Quand elle a seize ans, sa famille accepte de l’envoyer à Paris pour y faire l’apprentissage d’une carrière de chanteuse, à laquelle elle devra bientôt renoncer. En 1912, Agatha Miller se fiance au colonel Archibald Christie, qu’elle épouse en 1914 et dont elle aura une fille, Rosalind. Pendant la guerre, séparée de son mari qui se bat en France, elle travaille à l’hôpital de Torquay. C’est à cette époque, à la suite d’un pari avec sa sœur, qu’elle écrit son premier roman policier,
La Mystérieuse Affaire de Styles (
The Mysterious Affair at Styles ). Envoyé sans succès à plusieurs éditeurs, il ne sera publié qu’en 1920, au Bodley Head. En 1926,
Le Meurtre de Roger Ackroyd (
The Murder of Roger Ackroyd ) la rend célèbre. Les romans vont alors se succéder au rythme ininterrompu de deux par an. Après un épisode mal connu d’amnésie, Agatha Christie divorce en 1928. En 1930, elle épouse l’archéologue Max Mallowan, avec lequel elle fera plusieurs séjours sur des sites archéologiques, au Moyen-Orient, qui lui fourniront le cadre de certains romans et seront par ailleurs l’objet d’un récit de voyages, publié sous le nom d’A. C. Mallowan.
Diffusée à travers le monde à plus de deux milliards d’exemplaires, son œuvre policière est traduite dans une vingtaine de langues. Agatha Christie a fait paraître, d’autre part, des romans, sous le nom de Mary Westmacott: Loin de vous ce printemps (Absent in the Spring , 1944); The Rose and the Yew Tree (1948), des poèmes, des nouvelles ainsi qu’une autobiographie. Elle laissera à ses héritiers la charge de publier après sa mort un dernier roman, écrit en 1940, conservé plus de trente ans dans un coffre de banque, Hercule Poirot quitte la scène (Curtain: Poirot’s last Case , 1976), dans lequel disparaît après elle le plus célèbre de ses détectives.
L’intrigue policière
En 1936, dans la préface de Cartes sur table (Cards on the Table ), Agatha Christie propose à ses lecteurs de découvrir parmi quatre suspects, et sur la simple analyse des marques de jeu, le coupable d’un crime commis pendant une partie de bridge. Ce défi jeté à la sagacité de l’enquêteur est caractéristique de son œuvre et des formes d’énigmes qui s’y trouvent élaborées. Le meurtre, comme l’affirme souvent Hercule Poirot, ne peut être réduit à la dimension d’un pur événement; il s’explique d’abord par la personnalité de la victime, puis par celle de l’assassin. Le coupable ne sera donc désigné qu’au terme d’une investigation le plus souvent psychologique des antécédents du crime: recherche de mobiles, plus que d’indices; du pourquoi, autant que du comment. Il pourra même s’agir parfois d’une véritable reconstruction rétrospective d’un drame déjà ancien, là où, tout indice matériel ayant disparu, le problème devient purement intellectuel. Cinq Petits Cochons (Five Little Pigs , 1942) illustre au mieux cette forme d’énigme qui sera privilégiée par l’auteur dans la dernière partie de son œuvre.
L’aspect psychologique du problème posé sera accentué par le nombre limité des suspects possibles et par le resserrement du drame dans l’enclos d’une pension de famille, d’un petit village, d’un hôtel de vacances, d’un site archéologique ou d’une réception. Lieux tranquilles, dont le charme souvent provincial fait ressortir le caractère inattendu et tortueux du crime accompli. L’image de la maison, d’un terrain familial où se noue le drame derrière l’écran des traditions anglaises et du conformisme social, traverse toute l’œuvre d’Agatha Christie, du premier jusqu’au dernier roman qui se déroulent tous deux dans la même résidence de campagne; ce qui n’exclut pas des variations sur la forme de ce milieu protégé, tour à tour bateau, compartiment de train ou d’avion, île ou collège. Le crime qui fournit l’occasion de l’enquête possédera donc généralement un caractère privé. Il est non seulement prémédité mais accompli à la faveur d’une véritable mise en scène: on peut citer, comme l’une des plus célèbres, celle de
Dix Petits Nègres (
Ten Little Niggers , 1939),
où l’assassin parvient à se dissimuler parmi ses propres victimes en se faisant passer pour mort. Les intrigues d’Agatha Christie varient ainsi autour du thème fondamental du crime parfait, de son élaboration par un meurtrier brillant et de son élucidation par une enquête raisonnée. La victime semble donc le prétexte d’un duel entre la machination criminelle et la déduction du policier.
La méthode d’Hercule Poirot
Apparu dès le premier roman, le personnage du détective belge se retrouve dans une trentaine des meilleurs ouvrages d’Agatha Christie. Proclamant que pour découvrir un coupable il suffit de s’asseoir dans un fauteuil et de réfléchir en utilisant rationnellement les «petites cellules grises» de son cerveau, Hercule Poirot s’oppose à l’héroïsme du détective aventurier ainsi qu’à Sherlock Holmes, son prédécesseur le plus illustre dans la littérature policière anglaise:
même s’il semble l’imiter en se donnant pour compagnon, dans plusieurs romans, un doublet de Watson, le capitaine Hastings, dont la naïveté sert de repoussoir à la logique de ses déductions, il considère comme secondaire la chasse aux indices matériels si importante chez Conan Doyle et lui préfère l’enquête psychologique. Ce petit homme vieillissant, tiré à quatre épingles, prosaïque et maniaque, soucieux de son confort autant que de la morale, restera fameux par son crâne en forme d’œuf, son dandysme, ses cheveux teints, son énorme moustache; personnage ambigu, vaniteux, paternel, non dépourvu de ridicules qui peuvent conduire son adversaire à le sous-estimer.
Sa méthode est guidée par un amour de l’ordre, des lignes droites et de la symétrie, qui lui fait percevoir la moindre irrégularité d’un ensemble par ailleurs cohérent: elle vise essentiellement à l’inventaire de ces «petits faits», détails qui peuvent paraître insignifiants ou négligeables, et à leur classement, avant de les agencer les uns aux autres selon la technique du puzzle. Ils seront patiemment rassemblés à l’occasion d’interrogatoires ou de confidences que Poirot sait provoquer, qui lui donnent les armes d’une interprétation psychologique du crime et pourront lui permettre de jouer à la fin d’une enquête le rôle paternel d’entremetteur ou de marieur, autant que celui de justicier. Justicier d’ailleurs privé, dont les critères sont parfois plus sentimentaux que juridiques, qui peut laisser l’assassin s’échapper ou décider de clore l’affaire si le coupable lui paraît avoir le droit de son côté, ainsi dans Le Crime de l’Orient-Express (Murder on the Orient-Express , 1934).
Le dévoilement du criminel dans les derniers chapitres est l’objet d’une théâtralisation organisée par le détective lui-même. Ayant rassemblé les protagonistes du drame, Poirot reconstitue les étapes de son enquête, envisage plusieurs hypothèses et désigne à chaque fois un meurtrier plausible. Ces fausses pistes retardent d’autant le coup de théâtre de l’accusation finale, destinée à confondre le criminel, dont la culpabilité apparaît comme la solution la plus logique. Ainsi s’achève le duel; la mise en scène du détective, en répondant à celle de l’assassin, souligne la parenté qui peut exister entre eux et qu’Agatha Christie a brillamment illustrée à plusieurs reprises, notamment dans Le Meurtre de Roger Ackroyd , où l’assassin est le narrateur associé à l’enquête, et dans le dernier roman, où Poirot, avant de disparaître, devient meurtrier par amour de la justice.
Miss Marple et le raisonnement analogique
Agatha Christie a su renouveler la forme des enquêtes en créant un certain nombre de policiers ou d’amateurs qui reviennent dans son œuvre à plusieurs reprises: le couple de Tommy et Tuppence Beresford, le colonel Race, le surintendant Battle,
Mr. Quinn ou Parker Pyne, découvreurs occasionnels, sans compter le personnage d’Ariane Oliver, auteur de romans policiers, sous le masque de laquelle Agatha Christie semble avoir voulu se représenter avec humour. Parmi ces détectives, le personnage de Miss Marple apparaît en 1930 dans
L’Affaire Prothéro (
The Murder at the Vicarage ), pour jouer un rôle de premier plan dans une douzaine de romans. Vieille demoiselle dont la vie semble se limiter à son petit village, à ses travaux de jardinage, à l’observation de ses semblables et aux rumeurs du voisinage, Miss Marple trouve la solution des énigmes par une méthode personnelle, intuitive et empirique, fondée sur son «expérience de la nature humaine», liée à l’observation systématique de son milieu et procédant par analogies; l’enquête semble moins établir de liens entre les faits qu’entre les individus; c’est parce que tel personnage lui en rappelle tel autre que va peu à peu se tisser un réseau d’associations, capable de confondre le coupable. Ici encore l’élucidation est principalement psychologique; elle tendra même peu à peu à devenir morale, l’aptitude à pénétrer la démarche du criminel dénotant une sensibilité au «
mal», dont l’existence est constamment soulignée d’un roman à l’autre.
Le bien et le mal
N’importe qui peut devenir criminel ou victime ou détective. Cette morale implicite de l’œuvre d’Agatha Christie, illustrée par la variété des types d’assassins ou d’enquêteurs qu’elle propose, se durcira toutefois dans un certain nombre de romans d’espionnage, Destination inconnue (Destination Unknown , 1954), Passager pour Francfort (Passenger to Frankfurt , 1970). Des thèmes s’y trouvent accentués jusqu’à l’outrance: la lutte manichéenne entre le bien et le mal, l’existence de criminels internationaux, organisateurs des troubles de la civilisation et des mouvements de la jeunesse, la nécessité de sauver le vieux monde et les traditions sont les ressorts de développements souvent schématiques dont la naïveté contraste cependant avec l’ambiguïté de l’intrigue du dernier roman. Poirot détective devenu criminel avant de se laisser mourir semble en effet plutôt confirmer cette loi des livres d’Agatha Christie, que l’auteur, le lecteur, le détective, la victime et le meurtrier sont étroitement liés par des affinités et par des rôles toujours susceptibles de permuter.
Источник: CHRISTIE (A.)