Книга: Morris W. «News from Nowhere»

MORRIS (W.)

MORRIS WILLIAM (1834-1896)

Poète, romancier, traducteur, peintre, rénovateur des arts décoratifs, fondateur et animateur d’importants ateliers, d’une maison d’édition, théoricien, et finalement acteur notable du mouvement socialiste anglais, Morris présente une image du génie universel qui semble renouvelée de celle des grands maîtres de la Renaissance italienne. Elle lui a valu aussi d’être plus ou moins sévèrement jugé, puis négligé après sa mort, jusqu’à une redécouverte qui ne date vraiment que du milieu des années cinquante. Morris est né dans une famille bourgeoise. Sa formation spirituelle, qui s’est faite à Oxford avec son grand ami et collaborateur le peintre Burne-Jones (à partir de 1852), doit beaucoup, comme la suite de son œuvre, au renouveau esthétique prôné par Ruskin entre 1843 et 1860 en réaction contre l’art anecdotique et sclérosé des peintres de la Royal Academy: nécessité d’une renaissance spirituelle, défense d’un art purifié et moralisé pour le peuple tout entier, à l’image supposée de celui de l’époque gothique. C’est cette «mission» qu’il se donne en renonçant à la prêtrise pour entrer d’abord dans le cabinet de l’architecte néo-gothicisant Street. Les entretiens avec Rossetti, que Burne-Jones est allé rejoindre à Londres, l’amènent temporairement à la peinture, sur des sujets d’inspiration médiévale qui sont aussi ceux de ses principaux poèmes (La Reine Guenièvre , 1858). Mais son mariage, en 1859, marque une étape autrement importante. La Maison rouge , construite pour le couple sur des conceptions entièrement nouvelles par son ami Philip Webb, et dont il entreprend lui-même l’aménagement et la décoration avec les peintres Burne-Jones, Rossetti et Madox-Brown, amène le passage définitif à un art décoratif conçu sur le mode artisanal, par opposition au produit industriel ordinaire, laid, coûteux et peu adapté à sa fonction. Cette conversion décisive aboutit en avril 1861 à la fondation de la maison «Morris, Marshall, Faulkner and Co.» qui se déclare capable d’«entreprendre toute espèce de décoration, depuis les peintures proprement dites jusqu’aux moindres objets susceptibles de beauté artistique». Après des débuts difficiles, la maison, dirigée en fait par Morris, s’impose peu à peu dans tous les domaines: vitraux, toiles peintes, meubles, tapisseries, et surtout papiers peints et étoffes imprimées (chintz), exécutés à partir de 1881 dans les ateliers de Merton Abbey, dans le Surrey, qui permettent de concilier la qualité du dessin et un prix de revient relativement réduit. William Morris demande des cartons à Burne-Jones, Madox-Brown, Walter Crane, mais il élabore les maquettes et se réserve le dessin des ornements pour lesquels il s’inspire souvent très directement de motifs de tapisseries ou de manuscrits du Moyen Âge, mais aussi de motifs végétaux directement observés (série des papiers peints à sujets floraux, à partir de 1862, qui restent la partie la mieux connue de son œuvre). La salle à manger de South Kensington (Victoria and Albert Museum, Londres), commande de 1867, permet de se faire une bonne idée de l’ensemble de ce travail. Au cours des années 1874 et 1875, la liquidation de la société sous sa première forme provoque chez Morris une crise morale grave, qui explique, entre autres choses, son renoncement temporaire au travail de l’atelier pour une conversion à l’action sociale. Moins réactionnaire et moins utopique que Ruskin, il adhère en 1883 à la Fédération sociale démocratique de Hyndman, de tendance marxiste. Sa grande activité en ce domaine se révèle assez maladroite et plutôt marginale, mais elle est l’occasion de ce que l’on considère aujourd’hui comme sa meilleure œuvre littéraire, l’utopie communisante des Nouvelles de nulle part (News from Nowhere , 1891). Parallèlement, l’auteur du Paradis terrestre (1868-1869), le traducteur de Virgile (1875) et des sagas islandaises fonde son imprimerie et sa maison d’édition (Kelmscott Press, à partir de 1890) et reprend, dans le même esprit, toute la question du livre, redessinant des alphabets, cherchant de nouveaux papiers: il mourra quelques mois après la fin de l’édition de son Chaucer, sa dernière grande entreprise (1896). De nombreux écrits théoriques jalonnent cette carrière surabondamment remplie. Les grands thèmes, qui doivent beaucoup à Ruskin, se dégagent assez clairement: refus de la distinction entre grand art et arts mineurs, réhabilitation du travail manuel, revendication d’un art pour tous, d’un «luxe du goût» au lieu du luxe de la richesse... «Un art ne peut être vraiment grand et puissant que s’il est, comme il le fut jadis, l’expression des aspirations du peuple vers la beauté et la vraie joie de la vie.» Ces présupposés esthétiques impliquent donc une action dans et sur la société qui conduisit logiquement Morris à l’engagement politique. Si les réalisations sont parfois discutables (faiblesse du dessin des figures, complication excessive des motifs ornementaux...) la personnalité de Morris, véritablement exceptionnelle, impose le respect. Mais l’interprétation de l’œuvre est difficile: on y trouve un mélange complexe de thèmes d’époque (l’historicisme: retour à l’art médiéval; la découverte des cultures non européennes: arts d’Orient...) et de société (montée des arts décoratifs; problèmes de l’artiste artisan et producteur). L’influence, rapide en Angleterre, tardive et diffuse ailleurs, est considérable: avec Morris s’ouvre l’ère de la civilisation du design , avec toutes ses ambiguïtés. Il s’agit en fait ici d’un phénomène de civilisation dont on n’a pas fini de mesurer l’importance.