QUIGNARD (P.)
QUIGNARD (P.)
QUIGNARD PASCAL (1948- )
Aussitôt après des études de philosophie faites à la faculté de Nanterre, Pascal Quignard (
né à Verneuil-sur-Avre) entre aux éditions Gallimard, puis, au milieu des années 1970, devient membre de son comité de lecture. Il le restera jusqu’en 1994. Son œuvre, que ce soient ses essais (sur Maurice Scève:
La Parole de la Délie , 1974; sur Léopold von Sacher-Masoch:
L’Être du balbutiement , 1969; ou sur Louis-René des Forêts:
Le Vœu de silence , 1985), ses textes intimistes au tirage limité (
Les Mots de la terre, de la peur et du sol , 1978;
Sang , 1977;
Une gêne technique à l’égard des fragments , 1986;
Le Nom sur le bout de la langue , 1993), ou ses romans, contes et récits (
Le Lecteur , 1976;
Carus , 1979;
Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia , 1984;
Le Salon du Wurtemberg , 1986;
Les Escaliers de Chambord , 1989), est construite pour une grande part autour de réflexions sur l’écriture, la littérature et cette communication mystérieuse, faite de deux solitudes, qui s’instaure par le biais du livre entre le lecteur et l’écrivain. Notons également une prédilection pour ce «langage sans les mots» qu’est la musique, et singulièrement pour la musique baroque (
La Leçon de musique , 1987;
Tous les matins du monde , 1991).
Au fil des textes qui composent les
Petits Traités (
t. I à VIII, 1993), Pascal Quignard a formulé peu à peu une manière de poétique. À partir de deux axes temporels privilégiés (l’Antiquité romaine, le XVII
e siècle français, et plus particulièrement sa face janséniste), il esquisse un certain nombre de portraits (
Perse, saint Augustin, les solitaires de Port-Royal), détaille avec minutie l’histoire de l’objet-livre, esquisse une anthropologie où le langage, la sexualité et la mort forment le triangle qui emprisonne le sujet parlant. Seule manière de rompre cet enchantement: le recours à la fiction, qui ne supprime pas la triple loi qui pèse sur l’être humain mais, en la déplaçant dans l’espace romanesque, la déréalise provisoirement. L’écriture ne vit que de ce délai, en cela elle est aussi un ersatz de sacré.
Rhétorique spéculative (1994) et
Le Sexe et l’effroi (1994), écrit à partir de fresques pompéiennes, prolongent cette réflexion.
Dans ses essais comme dans ses fictions, Pascal Quignard interroge l’importance
vitale accordée à l’écrit et la constitution progressive d’une mémoire littéraire, d’une «mémoire de mots» — souvenirs écrits, instants saisis —,
Le Salon du Wurtemberg , où un narrateur traque ses émotions passées, ses impressions enfuies, étant à cet égard directement signifiant. On a pu parler à propos de ce roman d’une influence proustienne, ce qui ne vaut pas pour les livres précédents de Pascal Quignard. Dans
Le Lecteur (1976),
récit qui rappelle certaines fictions de Maurice Blanchot ou de Louis-René des Forêts, c’est déjà la relation énigmatique entre un écrivain et une sorte de double —
son lecteur? — qui nous est dépeinte avec un grand art de la nuance, par petites touches, aveux à demi-voilés, images imprécises. «Le livre est l’absence du monde», affirme Pascal Quignard dès ce premier récit. «À l’absence du monde qu’est le livre s’ajoute cette absence du monde qu’est la solitude. Le lecteur est deux fois seul. Seul comme lecteur, il est sans le monde: en tant qu’il est avec son livre. Seul «
avec» son livre, «
chez» son livre, qui est le dénuement du monde.» Dans
Carus , c’est un réseau d’amitiés qui nous est décrit, un peu à la façon des romans épistolaires du XVIII
e siècle. Dans
Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia , Pascal Quignard met en scène un personnage imaginaire (Apronenia Avitia) dans un cadre historique précis (la Rome de la fin du IV
e s.et des premières années du V
e s. après J.-C.) et introduit la question de l’écriture en faisant tenir à Apronenia Avitia un journal (dont la forme s’inspire des
Notes de chevet de Shei Sh 拏nagon) où elle consigne, de manière fragmentaire, les faits de sa vie quotidienne, mais aussi ses pensées, ses rêves, ses désirs, ses émotions. Un procédé voisin sera utilisé dans un autre «roman latin»,
Albucius (1990).
«Un lettré, écrit Quignard dans l’un de ses Petits Traités , est un homme fait de sable.» N’est-ce pas lui-même qu’il définit ainsi, homme passionné de livres, ces objets étranges qui fixent le temps et renferment un univers entier entre leurs pages noircies? «Je voudrais être lu en 1640», déclare aussi Pascal Quignard. Par cette boutade, c’est toute l’originalité de sa démarche qui s’exprime: l’ambition d’écrire en cette fin du XXe siècle des livres qui puissent un temps vaincre l’oubli et la mort.
Источник: QUIGNARD (P.)