POTTER (B.)
POTTER BEATRIX (1866-1943)
Illustratrice anglaise. Née dans une famille cossue de l’industrie textile, Beatrix Potter vit une enfance contrainte et étouffée où, seuls, les séjours estivaux dans la campagne anglaise lui procurent détente et évasion. Très tôt, elle se livre à une observation minutieuse de la faune et de la flore, à des dissections, à l’élevage de très nombreux animaux. Cette proximité animale, source d’émerveillement, atténue sa solitude affective et constitue pour elle une activité compensatoire qui orientera son besoin créatif. Avec son père, elle s’initie à la photographie, fréquente les musées, découvre les dessins de l’illustrateur Randolph Caldecott, qu’elle rêve d’imiter. Peu à peu, elle établit des contacts avec des enfants de son entourage en leur envoyant des lettres illustrées de nombreux dessins à l’encre d’animaux. Elle capte l’intérêt de son public enfantin grâce à ses histoires centrées sur les lapins, les écureuils, les souris, mais il s’écoulera sept années entre les aventures épistolaires de Pierre Lapin et leur mise en forme définitive: la première publication à compte d’auteur témoigne d’une volonté étonnante, compte tenu de la rigidité des principes concernant l’émancipation d’une fille de bonne famille.
La rencontre avec la famille Warne, éditeurs spécialisés dans le livre d’enfant, sera décisive dans l’entreprise de Beatrix Potter, qui trouvera auprès d’eux les encouragements nécessaires. The Tale of Peter Rabbit (1902) est le premier d’une série de vingt volumes produits en douze ans; il atteint d’emblée le style qui fera le succès durable de l’auteur. Le livre est de petit format (14 cm 憐 10 cm), d’une mise en pages toute classique avec une aquarelle sur la page de gauche et un texte court mais aux mots choisis sur celle de droite. Les centaines de croquis, aquarelles, schémas, observations accumulés pendant si longtemps constituent un matériau documentaire inépuisable dans l’élaboration minutieuse et passionnée de cette comédie animale en miniature. L’anthropomorphisme est donné d’emblée, tout en délicatesse et tempéré par la drôlerie des détails, comme les oreilles basses des deux lapins corrigés par Monsieur Lapin père, qui arbore la mine satisfaite du bon bourgeois bedonnant, une salade sous le bras. Si les animaux sont habillés, le vêtement s’intègre avec naturel dans l’image sans jurer avec l’environnement: vestes, sabots, pantalons sont un complément souplement ajusté et aux coloris discrets. L’humanité des protagonistes est suggérée par des attitudes calquées sur celles des enfants: le frontispice de Pierre Lapin annonce le dénouement de l’histoire, et on n’aperçoit du héros que le bout des oreilles dépassant du drap pour échapper à la cuillerée de camomille de Mère Lapin. Quand Jeannot Lapin veut entraîner son cousin dans une expédition gourmande (The Tale of Benjamin Bunny , 1904), Pierre est représenté dans une attitude proprement enfantine, le menton appuyé sur les genoux.
Ce mélange n’est pas un des moindres charmes de l’univers de Beatrix Potter. Certaines personnes au métier bien déterminé dans son entourage lui servent de modèle. Ainsi la vieille et digne blanchisseuse de son enfance donnera naissance au savoureux personnage du hérisson, Madame Piquedru, «qui porte un nombre ahurissant de jupons superposés et un bonnet blanc» (The Tale of Mrs. Tiggy-Winkle , 1905). La maison de poupée de la famille Warne servira de décor à l’histoire des deux vilaines souris qui se livrent à un jeu de massacre quand elles s’aperçoivent que tout n’est qu’apparence et faux dans ce palais et que rien n’est bon à manger (The Tale of Two Bad Mice , 1904). Son expérience des animaux apprivoisés lui est une aide précieuse pour traduire le comportement des souris. C’est également un artisan observé dans son atelier, humble silhouette tassée sous le plafond bas, qui lui permet de mettre en images la légende du Tailleur de Gloucester (1903) entraînant l’enthousiasme non seulement des enfants, mais aussi d’un lectorat de vieilles dames et de tailleurs reconnaissants...
Si ses personnages séduisent par la douceur de leur pelage (les grenouilles de Jérémie pêche-la-ligne , 1906, imposent davantage de distance), la finesse des attitudes, le naturel des gestes, leur environnement, qui doit tant à la maison de leur auteur, contribuent à la fraîcheur des illustrations. Beatrix Potter compose des images détourées, aux angles arrondis, dans lesquelles l’œil pénètre comme dans un coin de paysage choisi, intime. Sa formation de naturaliste, animée par un instinct très sûr de conteuse, lui fait trouver l’angle adéquat qui met le protagoniste en valeur, les détails qui font du décor un cadre authentique et singulier, ou encore les comparses, spectateurs ironiques mettant une touche finale à un tableau très simple et cependant élaboré avec raffinement. La matière est particulièrement bien rendue, reflets dans l’eau, végétaux divers, et reconnaissables, plates-bandes ratissées, intérieurs aux bois cirés et odorants, lits douillets, etc. «J’ai toujours détesté écrire à la commande. Plus mon plaisir était spontané, plus le résultat était satisfaisant...» Cet aveu de la vieillesse prouve, si besoin est, à quel point Beatrix Potter s’est investie affectivement dans ses livres.
Mais un changement décisif dans sa vie personnelle a mis un terme définitif à son activité créatrice en 1913. Devenue célèbre, son œuvre a été traduite dans toutes les langues, et ses héros ont trouvé une seconde existence sous forme de peluches, de papiers peints et d’objets divers. La reprise de ses œuvres majeures chez Gallimard, précédant une exposition à l’automne de 1992 au musée d’Orsay, atteste la permanence d’un talent qui reflète un sens exceptionnel de l’enfance.
Источник: POTTER (B.)