JONES (D.)
JONES DAVID (1895-1974)
Gallois par ses ancêtres paternels, mais anglais par sa mère, David Jones compte également des ancêtres italiens. Dès son jeune âge, en dehors de toute éducation scolaire, il se consacra au dessin: il exposa ses premiers essais en 1903-1904. Sa formation artistique fut interrompue par sa participation à la guerre, mais reprise dans un esprit nouveau, mûrie par cette grande expérience et approfondie par sa conversion au catholicisme en 1921. Illustrateur et graveur, il reconnaît sa dette envers Eric Gill, auprès de qui il passa plusieurs années comme membre de la Communauté de Ditchling; aquarelliste, il relève un peu des préraphaélites et beaucoup des post-impressionnistes, préoccupé qu’il est par la recherche de la lumière et de la transparence, la création de «paysages d’atmosphère», où se fondent le vu et l’imaginé, où le concret reste le support du symbolisme. De nombreuses expositions, jusqu’à la rétrospective de 1981 à Londres, ont établi son originalité dans l’ordre de l’art visuel, l’«
image»; mais dans le domaine du «
mot», pour reprendre les termes d’un catalogue récent qui veut confronter les deux aspects du génie de David Jones, sa réputation littéraire ne dépasse pas encore le cercle d’initiés dont certains font autorité; ainsi T. S. Eliot saluant
In Parenthesis (1937) comme «une œuvre de génie» et W. H. Auden affirmant que
The Anathemata (1952) est «l’un des plus importants poèmes de notre temps». David Jones, en raison d’affinités d’inspiration et de style, est destiné à prendre place aux côtés de Gerard Manley Hopkins, de James Joyce, de T. S. Eliot et d’Ezra Pound. Il a abordé la création littéraire en autodidacte, et fortuitement à l’occasion d’une convalescence en Palestine. La guerre et cette expérience «expliquent, a-t-il dit, pour une très large part ses tentatives d’écrivain». Alors que la technique picturale procède par juxtapositions, toujours déchiffrables, l’œuvre écrite, par la voie de l’allusion oblique, des suggestions offertes par la frange des mots, dispose de superpositions multiples qui se présentent en «strates de signification». Sans abandonner la peinture, David Jones découvrit là un médium complémentaire, mettant en œuvre une immense érudition dont le texte, en sa trame serrée, ne contient qu’une partie, commentée, prolongée, alimentée par des notes abondantes et indispensables qui font office de lacs de barrage. L’œuvre de David Jones est, par sa technique (un vers libre inspiré par la poésie orale de tradition bardique où se fondent le
sens , le
son et le
gestuel ) et par la richesse de son contenu, d’une difficulté d’accès sans égale qui éloigne le commun des lecteurs et qui pourtant ne déçoit jamais, de par le recueillement et la concentration d’esprit qui en ont marqué la genèse et l’élaboration.
In Parenthesis , conçu un moment comme une série de gravures avec commentaires, est peut-être l’évocation la plus puissante de la Grande Guerre, parce qu’elle relie le particulier au général, le présent au passé, nous fait contempler le temporel sub specie aeternitatis , grâce à la collaboration sous-jacente des allusions et des emprunts faits à des œuvres telles que l’ancien poème gallois Y Gododdin , Le Morte Arthur , la Chanson de Roland . The Anathemata renchérit sur cette technique en faisant appel à des références savantes, à une multitude d’ouvrages (tels Le Rameau d’or de sir James Frazer, Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, Mysterium fidei du père de La Taille). L’imagination créatrice de David Jones y explore conjointement plusieurs domaines: le monde méditerranéen antique et le monde celtique, gallois, en constante référence avec la liturgie. La préhistoire, le «miracle grec», la «matière de Bretagne» sont associés au mystère eucharistique. La grande originalité de cette manière d’épopée nationale — par la figure d’Arthur — et religieuse, mariale — par la présence de la vierge Marie et de son fils — réside dans une vision syncrétique des religions centrée sur la Passion du Christ, de l’«anamnèse» qui en est le rappel permanent et surtout dans l’exploitation de l’archéologie considérée comme témoin de l’évolution de l’homme-artiste. En marge de ce puissant édifice, David Jones nous a donné des poèmes qui viennent d’être recueillis en volume: The Sleeping Lord . Le poème de ce nom, de date récente, commémoration historique et archéologique du pays de Galles, est d’une ampleur incantatoire et d’une architectonique admirables. D’autres morceaux, relatifs à l’occupation romaine de Jérusalem et à la Passion, ont pour caractéristique de révéler, en filigrane, l’attitude de David Jones, face à notre monde moderne, sa vigoureuse dénonciation de Mégalopolis et de la technocratie, destructrices des «saintes diversités».
À titre posthume, furent rassemblés en 1978 des essais critiques, Le Gaulois mourant (The Dying Gaul ), publiés entre 1938 et les dernières années de la vie du poète. Le texte le plus important de ce volume est celui consacré à The Rime of the Ancient Mariner , qui a exercé longtemps une extrême fascination sur l’écrivain et l’artiste. David Jones y tient chronique de sa longue fréquentation du poème de Coleridge, et nous livre une manière de biographie spirituelle commencée avec les gravures sur cuivre de 1928. La mort y rôde, en même temps que le tracé s’y fait savamment brisé. Selon les mots de Jones, Coleridge «cache et révèle des profondeurs et des couches de sens où, comme le dit le Psalmiste, Abyssus abyssum invocat .»
Источник: JONES (D.)