Книга: Pirandello L. «Diece Novelle Десять новелл»

Diece Novelle Десять новелл

Вниманию читателей предлагается полный, неадаптированный текст десяти избранных новелл Луиджи Пиранделло. Издание рассчитано на лиц, владеющих основами итальянского языка и совершенствующих свои навыки в нём.

Формат: Мягкая глянцевая, 116 стр.

ISBN: 9785797403968

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Il fu Mattia PascalРанние произведения Пиранделло блестяще передают атмосферу сицилийской провинции и ее обитателей. В… — (формат: Мягкая глянцевая, 224 стр.) Подробнее...2018350бумажная книга

PIRANDELLO (L.)

PIRANDELLO (L.)

Enfant de Sicile, puisqu’il est natif d’Agrigente, Pirandello produisit au fil de ses quarante-cinq ans de carrière littéraire quatre recueils de poèmes, sept romans, plus de deux cents nouvelles, une quarantaine de pièces de théâtre, ainsi que deux volumes d’essais. Si les nouvelles constituent la part la plus riche et peut-être la plus originale de son œuvre, ce fut son théâtre qui le rendit célèbre; il souleva des polémiques et donna naissance au terme de pirandellisme, notion plurivoque et qui se laisse difficilement définir.

En 1934, deux ans avant la mort de l’écrivain à Rome, le prix Nobel couronna une œuvre qui, bien qu’inégale, marqua son temps plus sans doute que la littérature italienne contemporaine.

1. Les romans: un éventail de problèmes

Les sept romans de Luigi Pirandello sont de valeur inégale. Le premier est L’Exclue (L’Esclusa , 1901), marqué par l’influence du vérisme, récit paradoxal du destin social d’une femme injustement accusée d’adultère et qui, chassée, ne reconquiert un statut social qu’en se livrant effectivement à la faute qu’on lui reprochait. La femme est également le centre d’attraction du ballet de corbeaux de Chacun son tour (Il Turno , 1902), farce lugubre et grinçante sur le thème du mariage de raison et de gratitude, où déjà l’intensité du dialogue préfigure les rapides échanges de passes verbales des grandes comédies. Trois autres romans, Son Mari (Suo Marito , 1911), On tourne (Si gira , 1915), inspiré par les débuts du cinéma et marqué par la décomposition et la déformation du monde que cause la prise de vue, Un, personne et cent mille (Uno, nessuno e centomila , 1926), centré sur le problème du relativisme psychologique, ne sont que des essais assez médiocres en eux-mêmes, mais qui servent d’arrière-fond au reste de la production pirandellienne. En revanche, les deux autres romans de Pirandello sont d’une importance capitale pour la connaissance de son œuvre.

Feu Mathias Pascal (Il Fu Mattia Pascal , 1904) marque le passage du «roman de mœurs» à l’analyse d’un personnage particulier. Mathias Pascal, qui a fait une escapade hors de sa famille, apprend par les journaux son prétendu suicide, et décide de jouer le jeu en repartant de zéro. Mais il n’est plus rien pour les autres, et l’absence de statut social le réduit à l’inexistence; aussi décidet-il de réintégrer sa famille, où entre-temps chacun l’a cru mort et a réorganisé sa vie. Sa femme s’est remariée, Mathias Pascal n’a plus qu’à aller, symboliquement, déposer des fleurs sur sa propre tombe. Ici s’esquisse une des lignes de la problématique socio-psychologique qui se développera dans le théâtre de Pirandello: la question de l’existence de l’individu et de sa dépendance par rapport à un ordre social et à une attente psychologique de la part d’autrui.

Les Vieux et les Jeunes (I Vecchi e i Giovani , 1908-1909) constitue un retour à la matière et à la technique vériste. Il traite du heurt des intérêts et des générations au lendemain de l’unité, en Sicile et à Rome. La technique est reconnaissable dans l’accumulation des données socio-historiques et dans les procédés de collage de textes non littéraires. Sensibilisé par l’agitation sociale (notamment les fasci siciliani de 1892), Pirandello se livre à un examen de tous les vices constitutifs du système politico-social issu du Risorgimento: injustices sociales, exploitation du Sud par le Nord, corruption administrative, intrigues politiques de tous les partis. Les solutions possibles sont incarnées par Antonio Del Re, qui représente un anarchisme juvénile et stérile, par Laurentano, tenant d’un socialisme humanitaire, et par don Cosmo Laurentano, agnostique politique. L’importance de ce roman est grande pour la compréhension du reste de l’œuvre de Pirandello, qui n’est ni insensible à la réalité politico-sociale de son temps, ni étroitement et unilatéralement «engagé». On trouvera des échos de cette matière politique à la fois dans des farces quasiment antiparlementaires comme L’Imbecille et dans les grandes œuvres ambitieuses et confuses de la fin de sa carrière, aussi bien le drame musical La Fable du fils échangé (La Favola del figlio cambiato ) que l’utopie mystique de La Nouvelle Colonie (La Nuova Colonia ). Toutefois, c’est dans les nouvelles, dont la production s’étend de 1894 à la fin de sa carrière, que l’on trouve le plus de correspondances avec la matière de ce roman.

2. Les nouvelles: de Verga à Kafka

On peut distinguer, avec quelque artifice, quatre catégories dans les nouvelles de Pirandello: chacune tour à tour domine ou se combine avec une autre, sans qu’il soit possible de dessiner clairement une évolution chronologique. On reconnaît d’abord l’influence du vérisme, et nommément de Giovanni Verga (1840-1922), dans de nombreux récits dont la matière est «sicilienne». Mais le récit s’oriente toujours vers une autre signification, un autre registre. La Jarre (La Giara ) transpose en ballet grotesque l’âpre soif de gain matériel des paysans de Verga, en montrant les démêlés d’un propriétaire irascible et chicaneur avec un flegmatique réparateur d’ustensiles de terre cuite. Ailleurs, ce sont d’autres scènes: exploitation des uns par les autres, enlèvements, mauvais œil, distractions violentes et joies passagères, qui se nourrissent d’une matière réaliste exploitée en une déformation consciente.

Celle-ci peut s’orienter vers le paradoxe et le funambulisme, comme dans l’histoire de Perazzetti, Mais c’était pour rire (Ma non è una cosa seria , 1918), qui épouse la première venue afin de pouvoir désormais faire la cour à qui il voudra sans se trouver obligé d’épouser. Les nouvelles abstraites comme La Tragedia d’un personaggio ou le Colloque avec mes personnages (Colloquii coi personaggi ) qui sont des mises en récit de réflexions sur la création artistique et le «peu de réalité» des humains.

Enfin les nouvelles de l’étrange et du surréel, comme Café de nuit (Caffè notturno ), où un personnage condamné par une tumeur se livre à une oiseuse et vertigineuse décomposition du réel, en racontant par exemple comment on fait un paquet; ou La Peur du sommeil (Paura del sonno ), récit hallucinant d’une psychose. Un montreur de marionnettes a cru perdre sa femme: alors qu’on allait l’enterrer, elle s’est réveillée de sa léthargie; depuis lors, le mari ne supporte plus de la voir s’assoupir. De l’étrange à l’allégorie, la distance est faible, et certaines nouvelles franchissent aisément la frontière. C’est le cas d’Une journée (Una giornata ), récit onirique d’une amnésie soudaine et d’une biographie reconstituée sous forme d’interrogations et de surprises, dont on trouve clairement l’écho dans plus d’une nouvelle de Dino Buzzati.

Ainsi, la constante déformation du vérisme, la mise en doute systématique du réel aboutissent-elles à des récits où dominent le paradoxe et la perplexité, mais un paradoxe et une perplexité systématiquement extraits du réel même par une logique et une cohérence qui, si elles font éclater l’inconséquence des humains, révèlent également les périls inconnus de la réflexion, moins capable de construire un monde idéal que de corroder et de décomposer l’univers réel. Les nouvelles de Pirandello offrent un grouillement de «cas», individuels – psychologiques et métaphysiques – et collectifs – sociaux ou, encore, psychologiques –, dont une vingtaine seront repris et fourniront la matière directe de la moitié des œuvres théâtrales, mais on peut dire que les nouvelles ont constitué l’humus où a germé l’œuvre dramatique de Pirandello, aussi bien dans son aspect idéologique que dans son aspect technique.

3. Du vaudeville au «nouveau théâtre»

On a souvent observé que le théâtre de Pirandello, qui passe pour être si profondément «révolutionnaire», est par d’autres côtés insupportablement vieillot et complaisamment démodé. Des critiques représentant des idéologies opposées l’ont tour à tour, et à peu près sur les mêmes bases, encensé et violemment attaqué. C’est que l’unité et la diversité du théâtre de Pirandello ne reposent pas sur les mêmes facteurs, comme on le verra.

En un premier temps, Pirandello adopte et adapte la comédie bourgeoise, en y introduisant des facteurs de corrosion et de désagrégation qui la transforment radicalement. Reprenant le trop fameux triangle du vaudeville, Pirandello développe diverses intrigues inattendues, ou subvertit les structures conventionnelles du théâtre d’alors. Chacun sa vérité (Cosi è [se vi pare ], 1917), enquête sur une psychose (un homme et sa belle-mère ne sont pas d’accord sur l’identité de l’épouse du premier, que la seconde prend pour sa fille alors que le mari prétend qu’il s’agit de sa seconde femme), est en même temps une destruction de la notion de dénouement. La Volupté de l’honneur (Il Piacere dell’onestà , 1917), qui devrait être l’histoire d’un mari de complaisance, est en fait l’illustration de la panique que cause l’entrée soudaine de la rectitude et surtout de la logique dans une famille futile et corrompue de la haute société. Le Jeu des rôles (Il Giuoco delle parti , 1918), Tout pour le mieux (Tutto per bene , 1920) présentent des solutions héroïques à des situations ridiculement banales: là, c’est un mari qui, ayant défié un homme qui a insulté sa femme, envoie se faire tuer à sa place l’amant de celle-ci, au nom d’une répartition des rôles; ici un veuf apprend, longtemps après la mort de sa femme, que celle-ci le trompait avec celui qui l’a aidé dans sa carrière, et que tout le monde le croyait informé et complice; il décide alors de continuer, de détruire le mensonge par le mensonge et la comédie par la comédie. La corrosion porte donc, à cette étape de la production pirandellienne, aussi bien sur la technique (pas de dénouement, pas de crise...) que sur la thématique (des situations de vaudevilles résolues par le refus ou le paradoxe).

Pendant la même période, Pirandello opère une reconnaissance comparable sur le terrain du théâtre dialectal de dérivation vériste. Plusieurs pièces, en effet, ont été soit écrites, soit représentées en sicilien, de sorte que le texte italien qu’on en possède est un texte second. La parenté est évidente entre les nouvelles et le théâtre, qui d’ailleurs maintes fois s’en inspire. Il s’agit toujours d’œuvres d’une extrême vivacité, soit dans le domaine de l’action scénique (La Jarre , 1917), soit dans celui du dialogue (Le Brevet [La Patente , 1918], histoire d’un homme qui, réputé jeteur de sorts, ne trouve plus de travail et exige un brevet pour exercer cette «profession»), soit enfin dans la matière même, comme dans L’Offrande au seigneur du navire (Sagra del signore della nave , 1924), où la religion qui sert de prétexte et de couverture à une fête campagnarde masque mal la soudaine et violente résurgence du passé païen de la Sicile mille fois conquise et disputée. Cette matière sicilienne, rurale et dialectale, sert également de terrain à la description de conflits aigus et profonds, dont témoignent Les Vieux et les Jeunes et Cédrats de Sicile (Lumie di Sicilia , 1910). Liolà enfin (1916) constitue une transposition moderne et virulente de La Mandragore ; une jeune femme est obligée de recourir aux services d’un vigoureux jeune homme, Liolà, pour donner un enfant à son vieux mari. Mais le vieillard est au courant, et Liolà, conscient de l’importance de son rôle, analyse la situation avec une étonnante lucidité. Dans une société fermée et arriérée comme celle de la Sicile, où les enfants représentent un capital (un cheptel) au même titre que la terre, les rapports d’état civil deviennent des rapports économiques, voire politiques: et Liolà annonce le jour où ceux qui, comme lui, travaillent la terre des autres, s’empareront de ce qui leur revient. On voit à quel point est important, dans cette production en apparence légère et pittoresque, le sentiment de frustration et de colère impuissante, parfois ignoré, du Sicilien que l’unité a seulement isolé davantage.

Entre 1920 et 1930, et tout en exploitant épisodiquement des thèmes développés dans le théâtre de la première période, selon une technique de variation et de combinaison, Pirandello produit une série de pièces qui fondent une nouvelle dramaturgie, et constituent, avec celle que l’on doit à Brecht, une des deux grandes révolutions théâtrales de la première moitié du XXe siècle. Cette révolution est l’aboutissement logique de plusieurs lignes déjà indiquées: corrosion des formes dramatiques traditionnelles, problèmes du relativisme psychologique et de l’existence par les autres, sens aigu des conflits sociaux et de la fonction des individus les uns par rapport aux autres. Dans les ouvrages majeurs de ces années, l’enquête sur l’homme va de pair avec celle sur le théâtre, parce que la vie de l’homme est un théâtre, et parce que le théâtre est le lieu de la réflexion de l’homme sur lui-même.

Sei Personaggi in cerca d’autore (1921) a marqué la naissance du grand théâtre pirandellien et, quelques années plus tard, le début de la célébrité internationale du dramaturge. Au premier niveau, un mélodrame larmoyant: une famille désunie, la rencontre honteuse d’un père et de sa belle-fille dans un mauvais lieu. Au second niveau, la tragédie de ces personnages: le père veut faire appel de cet acte dans lequel veut l’enfermer la belle-fille qui ainsi, obscurément, justifie et rachète sa conduite, la mère et le fils, chacun à sa façon, refusent d’entrer dans le jeu et ne jouent que leur refus, tandis que les deux enfants «qui ne parlent pas» représentent silencieusement l’instinct de mort que chacun des autres porte en lui et auquel il donne un nom illusoire. En face de ce mélodrame et de cette tragédie de l’aspiration à l’être, la parodique légèreté d’un groupe de comédiens tout occupés à se jalouser et à s’égratigner, seuls capables de répéter et de poursuivre cette histoire, mais sourds au drame intime des protagonistes, s’exprime en problèmes de décor. L’analyse de la vie intérieure et de sa transposition en théâtre est ici menée de la façon la plus complète, sans illusions, mais aussi sans solution.

Comme ci (ou comme ça) [Ciascuno a suo modo , 1924] montre une autre interpénétration du théâtre et de la vie sur le plateau, le public reconnaît un fait divers qui a défrayé la chronique et divisé les gens; les intéressés aussi se reconnaissent, un scandale se produit, au cours duquel les faits représentés se répètent, la femme dont il est question se trouvant au bout du compte attaquée et défendue de la même façon que dans la pièce, et que dans la réalité qui l’avait inspirée. Une fois de plus l’impasse apparaît dans le fait que, à la «pièce à faire» qu’était Six Personnages en quête d’auteur , fait ici pendant une pièce «interrompue».

À l’inhibition, à l’inachèvement feints s’oppose, dans Ce soir on improvise (Questa sera si recita a soggetto , 1930), la troisième pièce de la trilogie du «théâtre dans le théâtre», selon une expression usée. Après avoir chassé leur metteur en scène, des acteurs en grève du zèle improvisent, après divers incidents, un troisième acte si intensément vécu que la comédienne qui mime la mort de l’héroïne s’évanouit. Cette parodie de mort, cette sanction pitoyable d’un effort qui n’a atteint que les apparences, est d’autant plus dérisoire que l’on apprend que le metteur en scène, qui fait une rentrée tonitruante et enthousiaste, a en fait «réglé les éclairages». À jouer sur scène avec la vie on s’expose donc à s’apercevoir qu’on était en fait dirigé sans s’en rendre compte, et que de toute façon l’effet reste celui du théâtre.

Ce thème de l’universel théâtre a constamment sollicité Pirandello, que ce soit dans Se trouver (Trovarsi , 1932), histoire d’une actrice que son métier a détournée d’elle-même au point qu’elle a l’impression de jouer lorsqu’elle vit, ou dans les grands drames de la folie, du mensonge, de la culpabilité, comme Enrico IV (1922), Vêtir ceux qui sont nus (Vestire gli ignudi , 1922), On ne sait comment (Non si sà come , 1934), ou enfin dans ces tragédies de l’amour offert et mal reçu que sont Comme avant, mieux qu’avant (Come prima, meglio di prima , 1920), Ève et Line (La Signora Morli, una e due , 1920), Comme tu me veux (Come tu mi vuoi , 1930), où des femmes prêtes à se modeler, à se laisser créer par ceux qui les entourent, à condition que l’on reconnaisse avoir besoin d’elles, se trouvent prises au piège de l’intérêt, de l’égoïsme, des conventions, du chantage à l’affection, sortent de la scène comme les héros tragiques en sortaient pour mourir.

Déjà dans cette thématique de la femme, créature qui donne à condition qu’on lui demande, créature proche des grandes forces élémentaires, biologiques et cosmiques de la création, s’esquisse l’inspiration toute différente de la dernière production pirandellienne, celle des «mythes». Une maladroite préfiguration en est Diana e la Tuda (1926), drame allégorique, lourdement ibsénien, qui dresse les uns contre les autres l’artiste, sa maîtresse, son modèle, la statue, l’artiste vieilli, dans un jeu de faux-semblants, d’ambitions déçues, de désirs détournés de leur objet, de jalousies, qui conduit à la mort l’innocente Tuda, tuée par le manque d’amour du sculpteur qui ne voyait en elle que l’imparfaite image de la Diane qu’il s’efforce de créer.

À partir de 1928, Pirandello écrit une série de pièces qui s’écartent résolument des thèmes et des techniques qu’il avait jusqu’alors illustrés. Les pièces qui ont reçu le nom de «mythes» sont La Nouvelle Colonie (La Nuova Colonia , 1928), Lazzaro (1929), Les Géants de la montagne (I Giganti della montagna , 1931, 1934, 1937). Pirandello y affronte ouvertement de grands problèmes, dont certains déjà avaient été traités plusieurs dizaines d’années auparavant dans ses romans. L’utopie sociale de La Nouvelle Colonie , où un ramassis de mendiants, voyous et autres pauvres hères décident de fonder sur une île une société sans attaches, sombre au milieu des intrigues des politiciens et des commerçants, tandis que l’île elle-même s’abîme au sein des flots, et que ne reste plus qu’une prostituée, et son enfant, enfin en contact direct avec les grandes forces telluriques, après la destruction des constructions artificielles des hommes. C’est à une solution analogue qu’aboutit Lazare , dont le sujet est apparemment le problème de la définition scientifique et métaphysique de l’«état de mort»: problème religieux, mais aussi d’engagement vital, que résolvent différemment un homme et sa femme, lui se confiant tout entier au dogme, elle tout entière aux œuvres, allant jusqu’à quitter son mari pour vivre avec un paysan et travailler de la même pâte ses enfants et ses champs.

Les Géants de la montagne , pièce inachevée, porte à l’extrême la désagrégation de l’édifice logique et technique du théâtre pirandellien. Dans le temps de la composition de cette pièce, Pirandello avait produit La Fable du fils échangé (1934), inspirée d’une légende sicilienne, où l’on assiste à la classique substitution d’un prince: mais ici, contrairement à la tradition, c’est le prince qui est un monstre à demi idiot, et qui repartira vers le Nord. Le lyrisme croissant de ces dernières œuvres envahit Les Géants de la montagne , où s’opposent l’entêtement de l’actrice Ilse à interpréter les écrits d’un jeune auteur mort d’amour pour elle, l’incompréhension des géants qui finissent par la tuer, et, face à ces deux passions, le théâtre intérieur, silencieux et béat, des doux illuminés de Cotrone, le magicien, théoricien de l’art idéal et non communicable. L’œuvre de Pirandello s’achève ainsi dans l’ambiguïté, thématique et formelle, dans une évasion vers la gratuité de l’art, dans un retour à une forme de symbolisme théâtral qu’on peut rapprocher de celui de Maeterlinck, tandis que, sur un autre plan, divers recours techniques attestent de l’influence du cinéma sur le dramaturge.

4. Le pirandellisme: un faux problème?

Le terme de pirandellisme éveille une constellation d’idées plutôt vagues, que l’on peut résumer en quelques mots: humour, logique déréglée, manie gratuite de raisonner, thèmes particuliers, dont les principaux sont: la comédie sociale, le théâtre, la force de l’inconscient et la folie, l’absurde. Cette accumulation mêle ce qui est justifié et ce qui ne l’est pas. C’est Pirandello lui-même qui a fait la théorie de ce qu’il a appelé l’humorisme , défini comme le «sentiment du contraire», comme la reconnaissance, à la fois comique et douloureuse, de ce qui devrait être là où l’on rencontre, justement, le contraire (une vieille femme outrageusement fardée alors qu’elle devrait être dignement effacée, par exemple): l’humorisme n’est pas dans l’objet, mais dans le sujet. De là naît l’importance des personnages de «raisonneurs», commentateurs, meneurs de jeu, metteurs en scène au sens propre et au sens figuré, qui sont la conscience de l’œuvre, comme celle de l’auteur au travail dans le micro-univers qu’il est en train de créer. La passion du raisonnement n’est que le revers de la folie qui guette la conscience si elle se penche sur elle-même et découvre qu’elle n’est que le centre creux où se croisent les projets des autres.

Au cours des années vingt, un critique de formation philosophique, Adriano Tilgher, interpréta les œuvres de Pirandello comme l’illustration du conflit entre la Vie, fluide et spontanée, et la Forme, rigide, conventionnelle, statique. Le dramaturge, inconsciemment flatté de ce passeport philosophique, donna raison au critique dans des pièces médiocres comme Diane et Tuda , qui d’ailleurs furent vertement attaquées par le même critique. En fait, Pirandello n’est pas un philosophe, et quarante pièces de théâtre ne forment pas un système. Le pirandellisme est constitué de tous les défauts que les critiques les plus opposés lui ont assignés, et des qualités corrélatives. Ainsi, le raisonnement à vide (dont on vient de voir la fonction) lui a été reproché par Antonio Gramsci, qui, d’accord avec les autres critiques marxistes, loue dans Liolà , en des termes curieusement idéalistes, la peinture de l’homme d’avant la chute! Ces mêmes critiques n’ont point relevé les discours fort «marxistes» de Liolà. Naturellement, les catholiques reprochèrent à Pirandello son agnosticisme, l’immoralité des situations et surtout des solutions. Chacun trouva, et trouve toujours en Pirandello matière à attaque ou à louanges, et c’est cela qui constitue le pirandellisme.

En fait, dans le théâtre de Pirandello (car le reste de son œuvre, infiniment moins connu, ne sollicite et ne passionne guère, à l’exception sans doute de Feu Mathias Pascal , et, dans ce dernier cas, strictement en fonction du théâtre), cohabite la tradition la plus éculée et la plus rassurante (celle du vaudeville, et celle d’«une certaine image de l’Italie») avec des ferments de subversion et de désagrégation qui ne sont pas limités au théâtre. La technique théâtrale de Pirandello a une valeur et une signification idéologiques précises: la corrosion de la société est représentée par la désagrégation analytique des formes d’art qui la mimaient. La grande comédie de l’homme, celle de Molière, devenue comédie sociale avec Goldoni, dégradée en comédie de mœurs avec les auteurs de boulevard, s’est ainsi transformée en un instrument idéal pour la représentation de la crise d’une société. Sans peut-être tout à fait mesurer la portée de cet acte, Pirandello a lancé dans l’univers frelaté et futile de la comédie des personnages de tragédie, ridicules, grandiloquents, excessifs, des Alceste que nul Philinte ne raisonne, mais qu’en revanche de rusés et cauteleux tartufes sont constamment prêts à circonvenir. Il y a, chez Pirandello, du Corneille, dans le contraste tantôt grinçant et tantôt truculent entre une médiocrité triomphante et un sublime pathétique, ridicule, accepté en façade par tous, exploité et enfin exclu quand le monde des apparences et des conventions peut retrouver sa surface lisse, un moment égratignée par les cris et les raisonnements des gêneurs.

On voit pourquoi Pirandello séduit et irrite: la critique en lui séduit, superficiellement en tant qu’attaque contre les malformations de la société, et plus profondément comme signe d’une conscience de crise (au moins confuse) de cette dernière. Mais le décor traditionnel, les oripeaux passés dans lesquels il enveloppe ses héros agacent par leur air désuet, et irritent comme la marque du caractère finalement timoré et étroit de son attaque, qui porte sur des détails, non sur un système entier (sauf dans les dernières œuvres, significativement décriées par une critique assez embarrassée). On a dit que Pirandello, comme écrivain, n’a pas d’histoire: et de fait, on serait en peine d’indiquer une voie principale de son développement idéologique ou technique, hors celle, fort approximative, qui a servi ici de canevas. Et si ces personnages sont à l’image des Siciliens, à la fois taciturnes et gesticulants, tout en façade, mais fous de métaphysique et d’honneur masculin, l’ensemble de son théâtre est à l’image de la Sicile dont l’histoire n’est que celle des conquêtes qu’elle a subies; ici, les conquêtes sont les lectures, l’exploitation, le pillage, qui font rendre à ce théâtre ce qu’il n’était peut-être pas fait pour donner. La valeur historique du théâtre de Pirandello est d’avoir servi de terrain de réflexion et de sujet d’imitation à plus de cinquante ans de théâtre mondial, et d’avoir ainsi rendu témoignage des crises et des conquêtes dramaturgiques de toute une époque: son sens n’est pas en lui, mais dans ce qu’il s’est fait en fonction, positive ou négative, de lui.

Источник: PIRANDELLO (L.)

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