Книга: Proust M. «Un amour de Swann»

Un amour de Swann

Любовь Свана.«Зарубежная классика — читай в оригинале» — коллекция, которая собрана из бессмертных произведений великих мастеров пера, написанных ими на их родном языке. Книги из этой серии помогут читателю углубленно изучать иностранные языки, обогатят его внутренний мир и по-новому откроют произведения известных классиков. Учись французскому у Марселя Пруста!

Формат: Твердая бумажная, 252 стр.

ISBN: 9785519495387

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КнигаОписаниеГодЦенаТип книги
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PROUST (M.)

PROUST (M.)

L’œuvre de Marcel Proust est, comme sa vie, le lieu de rencontre de deux époques: la tradition classique et la modernité. À la recherche du temps perdu est l’aboutissement de l’évolution qui conduit de Racine à Balzac et à Flaubert, et intègre certains apports des romans anglais, allemands et russes; c’est au nom de ce classicisme que l’on a d’abord défendu Proust. Mais il est aussi le précurseur du roman contemporain, de Butor à Nathalie Sarraute; c’est alors la révolution qu’il a fait subir à la littérature, que l’on souligne. Auteur de plusieurs livres, Les Plaisirs et les jours , Jean Santeuil , Pastiches et mélanges , sans compter d’autres écrits posthumes, Proust est aussi le créateur d’une œuvre unique. C’est pour ce livre solitaire et grandiose qu’il a vécu et qu’il est mort, lui que l’on voyait pourtant dans tous les salons, et qui recevait les grands écrivains de son temps, de Gide à Morand, de Giraudoux à Mauriac.

Bien qu’il soit né et mort à Paris qu’il a fort peu quitté, certains ne l’évoquent que pour la peinture d’un village, Combray, d’une plage, Balbec, qui, sous les noms que l’on croirait empruntés de Cabourg ou d’Illiers, deviennent lieux de pèlerinage. Cette œuvre se nourrit du paradoxe et de l’ambiguïté: À la recherche du temps perdu est un seul roman, divisé en sept, et aussi une démonstration, un essai, un long poème. Proust a mis tous ses soins à le composer, et l’on vante son ouverture, sa liberté, son inachèvement; il a créé cinq cents personnages, et l’on ne voit que lui, pour le confondre avec ce héros qui dit «je» et qui n’est pas le romancier. Une bibliographie de plusieurs milliers de titres éclaire tour à tour les facettes opposées de ce diamant noir. Il faut donc observer la formidable dissolution qu’a subie le roman classique dans l’eau de ces grandes phrases: ni les personnages, ni l’intrigue, ni le langage ne seront après elles ce qu’ils avaient été. Une immense synthèse les aura recomposés sous le signe de la différence.

Une vie et deux moi

La biographie de Proust n’est pas celle d’un aventurier. Né en 1871, fragile, bientôt asthmatique, il passe son enfance entre ses parents, un père, grand médecin, et qui publie des livres sur les maladies dont souffre Marcel, sans pourtant l’en guérir, une mère intelligente, cultivée, toujours présente, un frère qui suit une voie différente. Des études littéraires coupées de crises d’asthme, une licence de lettres et de philosophie, une autre de droit, des cours de science politique, mais le refus de toute carrière: un stage de clerc de notaire et un court passage à la bibliothèque Mazarine comme attaché non rémunéré. En revanche, dès l’adolescence, des textes paraissent, poèmes, portraits, essais, nouvelles, réunis dans Les Plaisirs et les jours (1895); un roman de mille pages, commencé aussitôt après, et abandonné en 1899 (Jean Santeuil , publié en 1952). Des traductions de Ruskin permettent à Proust de préciser sa propre esthétique. Il perd son père en 1903, sa mère en 1905: ce second deuil le brise, le laisse inconsolable, mais le libère peut-être. Homosexuel et écrivain, il pourra faire et dire ce qu’il voudra, sans craindre ses parents. En 1907, ce sont des articles importants. En 1908-1909, un projet d’essai et de récit qui concerne Sainte-Beuve, mais aussi l’enfance, et la peinture de la société: il en reste dix cahiers (deux versions en ont été publiées, en 1952 et 1971). Sans transition, en 1909, à partir de ce premier projet, Proust rédige ce qui deviendra À la recherche du temps perdu . Du côté de chez Swann paraît en 1913, au moment où son auteur vit, auprès de son secrétaire Agostinelli, la crise sentimentale la plus grave de sa vie; elle modifiera la suite de l’œuvre, comme le fera la Grande Guerre. D’un volume, en 1909, on est passé à deux en 1912, à trois en 1913; il y en aura sept... Proust verra publier À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919), Le Côté de Guermantes I (1920), Le Côté de Guermantes II et Sodome et Gomorrhe I (1921), Sodome et Gomorrhe II (1922). La Prisonnière , Albertine disparue (c’est-à-dire La Fugitive ), Le Temps retrouvé paraissent après sa mort, en 1922.

D’une existence de malade, recluse à partir de 1906, mais qui n’empêche pas les sorties mondaines, et d’autres plus mystérieuses, motivées par le désir ou la curiosité professionnelle, on retiendra deux traits principaux. Si le narrateur de la Recherche ne travaille pas, Proust, lui, a sans doute écrit plus de dix mille pages: la version définitive en compte plus de trois mille; les cahiers d’esquisses sont au nombre de soixante-quinze; la gouvernante de l’écrivain dit en avoir détruit, sur son ordre, une trentaine. Les recherches menées ces dernières années sur les manuscrits font apparaître trois grandes versions de la Recherche : 1908-1909 (Contre Sainte-Beuve ); 1909-1912; à partir de 1913. La vraie vie de Proust est là, dans l’histoire de ces cahiers, et tout ce qu’il voyait, sentait, aimait, souffrait et connaissait y aboutit un jour. Le deuxième trait est que cette existence si simple, et si malheureuse s’il n’y avait pas l’œuvre, conserve ses secrets: Proust s’est peu confié dans ses lettres pourtant bavardes (vingt mille, dit-on, dont un quart pourra être publié par Philip Kolb) sur ses souffrances, ses amours, ses visites nocturnes. L’écrivain a voulu que son moi superficiel, «haïssable», nous échappe, et que, dans son œuvre, nous rencontrions au contraire son moi profond, «qui individualise les œuvres et les fait durer». Proust est à la fois lui-même et Swann, Charlus, Bergotte, Elstir, Vinteuil, le narrateur, lui-même et toutes ses créatures. Bloch emporte un peu de sa jeunesse, Françoise de son art, Mme Verdurin écoutant de la musique se cache le visage comme lui.

Un roman impossible à écrire

Si À la recherche du temps perdu a été écrit si tard, a failli ne jamais voir le jour, a été publié, pour un tiers, posthume, la raison en est dans la méthode de composition proustienne. Dès Les Plaisirs et les jours , l’écrivain juxtapose des fragments déjà écrits, et le plus souvent publiés en revue, nouvelles, poèmes en vers ou en prose, pastiches, caractères à la manière de La Bruyère, descriptions; l’ordre ne suit pas la chronologie de la rédaction, mais, de nouvelle en nouvelle, un itinéraire où se mêlent, comme des thèmes musicaux, la dégradation dans la vie mondaine, le vice, la jalousie, et la rédemption par l’art. Le recueil se clôt et s’ouvre par l’évocation de la mort. Jean Santeuil , dont le manuscrit comporte un millier de pages, n’a pas été classé par Proust. Les morceaux écrits pendant quatre ans ont été publiés selon l’ordre chronologique de la vie du héros, comme un apprentissage: l’enfance, les études, l’entrée dans la société, l’amour, la vieillesse des parents de Jean. Mais, si l’auteur avait lui-même choisi cette structure, il aurait publié son livre; or il a senti que le déroulement linéaire de l’autobiographie ou de la fiction classique ne lui conviendrait jamais, sans oser encore bouleverser le temps du récit par la mémoire involontaire, pourtant déjà présente dans le premier roman. D’autre part, Proust a été écrasé sous l’amas des passages poétiques, dont il n’a pas trouvé comment ponctuer le récit: entre le long poème en prose et le roman social, entre la vie et les lois qui la régissent, il n’a pu trancher; d’où, finalement, des phrases dont la qualité, dira-t-il plus tard, ne l’ont pas satisfait.

Les préfaces que Proust donne à ses traductions de Ruskin, la Bible d’Amiens et Sésame et les lys (1904 et 1906), sont aussi un montage de textes antérieurs. La première assemble un avant-propos écrit en dernier, un article du Mercure de France sur une visite à Amiens, un article sur Ruskin, le récit d’une visite à Rouen, et des vacances à Venise. Dans les chroniques que Proust consacre aux salons mondains, aux événements artistiques, à des faits divers (1894-1907), la même écriture parcellaire se manifeste. Lorsqu’il décide brutalement, en janvier 1908, de raconter «l’Affaire Lemoine», histoire d’une escroquerie, ce sera par huit pastiches d’auteurs différents publiés dans le Figaro (quatre resteront inédits de son vivant; le pastiche de Saint-Simon sera publié en 1919, dans Pastiches et mélanges ). Cependant ces huit perspectives sur un même événement font chacune la synthèse, non du diamant comme Lemoine, mais du style de Balzac, de Flaubert, de Sainte-Beuve, de Régnier, de Goncourt, de Michelet, de Faguet, de Renan, c’est-à-dire de romanciers et de critiques. En effet, jusqu’en 1908, Proust a oscillé entre la fiction et la critique, sans choisir ni composer.

L’aventure de Contre Sainte-Beuve (1908-1909) confirme cette vue d’une genèse éclatée. Comme en témoigne le Carnet de 1908 (publié en 1976), où Proust a jeté de nombreuses notes en vue d’un futur roman, il écrit soixante-quinze feuillets qui annoncent «Combray»; il hésite alors, vers mai 1908, parle d’un écrit sur Sainte-Beuve, songe à deux formules différentes, un essai, ou le récit d’une matinée avec sa mère. De ces tentatives, il nous reste la trace, sous la forme de fragments repris, récrits plusieurs fois, dans dix cahiers, et non dans un texte continu. C’est alors que Proust découvre que la réminiscence peut organiser le récit: le narrateur se souvient d’un «moi» intermédiaire, qui, au cours d’insomnies, est envahi par le souvenir. La mémoire évoque alors l’enfance à Combray, Swann, le bord de mer, les Guermantes, les Verdurin, Venise, la «race maudite» des homosexuels. Une conversation avec la mère aurait servi de conclusion esthétique au livre, en réunissant les textes concernant les erreurs de Sainte-Beuve: soit, selon Proust, 250 ou 300 pages de «roman», 125 pages de «critiques». Mais, là encore, Proust n’assemble pas les morceaux épars de ce volume trop bref, et passe, sans aucune transition, au printemps 1909, à la composition de la future Recherche . Mais, cette fois, il a découvert comment construire son livre, grâce à l’invention d’un narrateur qui dit «je», et qui n’est pas Proust, qui l’est en tout cas beaucoup moins que Jean Santeuil; grâce à l’utilisation du souvenir involontaire pour disloquer et recomposer le récit, pour lui donner d’abord sa forme, sous l’aspect d’une question, puis son sens, sous l’aspect d’une réponse (question et réponse se trouvent d’abord confondues dans les premières esquisses; elles seront, à partir de 1913, séparées entre «Combray» et Le Temps retrouvé ). Les thèmes à traiter, Proust n’en a jamais changé, depuis Les Plaisirs et les jours et Jean Santeuil : il a mis quinze ans à leur trouver les formes romanesques qui les métamorphoseront. Enfin, Proust sait maintenant où il va, et il y va tout de suite: dès 1909, en même temps que les premières versions de Combray, il compose celles du Temps retrouvé («L’Adoration perpétuelle», publiée dans Matinée chez la princesse de Guermantes , Gallimard, 1982). Il ne changera plus de méthode: il s’agit de couvrir toute la toile du tableau, de sorte que, à chaque instant, une version du roman soit prête à être publiée; mais, en même temps, chaque version est précaire, insatisfaisante, doit être retouchée, développée. C’est pourquoi, si l’on étudie les cahiers d’esquisses, on constate la présence de canevas, qui éclatent en fragments, rédigés plusieurs fois sur des cahiers différents, puis de nouveau réunis, ou dactylographiés. L’effort porte sur la phrase (tel paragraphe a été récrit trente-cinq fois), sur l’insertion d’épisodes (Albertine, la guerre de 1914-1918), la place de certaines pages (la lecture de François le Champi a été divisée entre Swann et Le Temps retrouvé , le septuor de Vinteuil est passé de la dernière section à La Prisonnière ). Le roman sera d’abord conçu en un volume (1909); puis en deux: «Les Intermittences du cœur: I. Le Temps perdu. II. Le Temps retrouvé» (1909-1912); puis en trois: «À la recherche du temps perdu : I. Du côté de chez Swann ; II. Le Côté de Guermantes ; III. Le Temps retrouvé (1913). À l’ombre des jeunes filles en fleurs , issu de Swann , et d’abord reporté, en 1913, au tome II, sort en 1919. La partie centrale engendre, à partir de 1919, Sodome et Gomorrhe I, II, III (La Prisonnière ), IV (La Fugitive ). Le roman comprend donc, au moment de la mort de Proust, quatre sections publiées; trois posthumes. Le manuscrit terminal reprend l’œuvre de toute une vie, recopie même des textes de jeunesse; il est achevé depuis toujours, et pourtant, ce qui fait une partie de sa modernité exemplaire, à jamais inachevé.

Une intrigue invisible

Proust est l’homme, à travers tant de pages et de livres, d’un seul livre et d’une seule histoire. Mais le sujet du récit est d’abord invisible, parce que le récit raconte la découverte de son sujet, une «vocation invisible». Proust a caché son jeu plus qu’aucun romancier avant lui, car, si l’on entrevoit que le roman raconte une vocation, on la croit d’abord manquée, et surtout, on ne devine pas que le héros aura pour mission d’écrire le livre que nous sommes en train de lire. Dans l’itinéraire du héros-narrateur, dont le titre général de l’œuvre signale le sens, d’ailleurs ambigu, il faut donc distinguer l’apparence et la réalité. L’apparence est dans la traversée des lieux, des milieux et des temps, dans les rencontres amicales, amoureuses ou mondaines. L’enfance à Combray (Du côté de chez Swann , coupée de l’exemple, antérieur de quinze ans, fourni par Swann amoureux), l’adolescence à Paris, puis au bord de la mer à Balbec, et ce sont trois amours: la mère, Gilberte Swann, une bande de jeunes filles (parmi lesquelles Albertine); le retour à Paris, où le narrateur est progressivement admis dans les salons les plus fermés et tombe amoureux de la duchesse de Guermantes; la découverte de l’homosexualité dans Sodome et Gomorrhe , et le deuxième séjour à Balbec, en compagnie d’Albertine (qui relève de Gomorrhe); le retour à Paris, et l’amour tragique pour Albertine, où le bonheur est remplacé par une quête jalouse d’un introuvable secret (La Prisonnière ); la fuite, la mort de la jeune fille, les étapes de l’oubli et la guérison de toute passion (La Fugitive ); de longs séjours en maison de santé, coupés de deux voyages à Paris, en 1914, et en 1916, pour découvrir Paris sous les bombes, changé en Sodome (à cause de Charlus et de la maison de passe pour sadiques tenue par Jupien) et en Pompéi (première partie du Temps retrouvé ); et, en deux épisodes, «L’Adoration perpétuelle» et «Le Bal de têtes», la découverte finale, et triple, que le temps change les êtres, que le passé peut cependant être reconquis, et que l’instrument nécessaire à cette reconquête est l’œuvre d’art, qui découvre et éclaircit la vraie vie; telles sont les étapes, décrites de manière linéaire, de la vie du héros. Le deuxième niveau, celui de la réalité profonde, rassemble les expériences disséminées au fil du récit, et qui sont de trois ordres: les unes renvoient à une essence cachée, intemporelle (la vue des clochers de Martinville, les aubépines de Combray, les trois arbres de Balbec); d’autres sont des réminiscences qui provoquent un sentiment de félicité (la petite madeleine, la serviette empesée, les pavés inégaux de l’hôtel de Guermantes); les troisièmes sont des rencontres d’œuvres d’art: la lecture de Bergotte (Swann ), les tableaux d’Elstir (Jeunes filles ), la musique de Vinteuil (Swann , La Prisonnière ). Ces expériences, ces rencontres sont autant d’appels, d’interrogations dont la réponse n’est pleinement donnée que dans «L’Adoration perpétuelle» du Temps retrouvé . Les unes auront fait entrevoir que le monde avait un sens caché, les extases de mémoire que l’on pouvait à la fois recréer le temps et y échapper, les dernières que les œuvres d’art reconstituaient les deux premières, les perpétuaient, puisqu’elles donnent un sens au monde, préservent le temps, et lui échappent.

Ce n’est pourtant pas assez de dire que l’intrigue est cachée, et que les secrets qu’elle dévoile sont rejetés à la fin. Elle est d’autant plus mystérieure que son déroulement est brisé, bouleversé par le jeu de la narration avec la fiction, de l’énonciation avec l’énoncé. Swann aurait connu le sort de Jean Santeuil si Proust n’avait fait commencer le récit par un narrateur insomniaque, dont l’existence est presque achevée (puisqu’il est arrivé au seuil du Temps retrouvé ), et qui redécouvre Combray par la mémoire volontaire, puis, dans la partie la plus vaste, par la mémoire involontaire. L’ordre chronologique de l’histoire est encore brisé par l’introduction d’épisodes, comme «Un amour de Swann» qui remonte quinze ans avant la naissance du narrateur. De plus, Proust efface soigneusement toute date, et il a fallu beaucoup d’ingéniosité aux commentateurs pour retrouver une chronologie (de 1880 à 1920, pour les événements; mais les personnages les plus âgés sont nés vers 1820, les plus jeunes, les enfants de Gilberte, vers 1900), puis pour y signaler des inadvertances ou des incompatibilités. Ce qui compte, en effet, pour le romancier, c’est la marque du passage du temps, non les chiffres et les dates, la qualité, non la quantité. D’autre part, le narrateur, du présent où il raconte, intervient dans la narration pour commenter, rapprocher deux temps, annoncer des événements encore inconnus, ou, au contraire, pour l’interrompre: ce sont des «blancs» qui séparent les amours de Swann pour Odette et du narrateur pour Gilberte, ou les séjours en maison de santé du Temps retrouvé ; des années s’y passent, qui ne sont pas racontées. Le roman, au cours du XXe siècle, ira plus loin dans le bouleversement du temps, la suppression de l’intrigue; c’est l’œuvre de Proust – que l’on songe, par comparaison, au classicisme de ces contemporains qui l’ont, d’ailleurs, peu aimé, Gide, Martin du Gard – qui a rendu possible l’évolution qui s’est produite, au moment où son œuvre, après une éclipse relative, est revenue en pleine gloire, dans les années 1950.

Un langage à réinventer

Le déplacement que subit l’intrigue de la Recherche est compensé par l’importance accordée au langage des personnages et d’abord à celui du premier d’entre eux. L’immense discours du narrateur, compte rendu de toute une vie, porte ceux des personnages, qui parlent plus qu’ils n’agissent, et se dévoilent dans leurs paroles, à condition de les analyser. Proust entend ses héros autant qu’il les voit; c’est pourquoi il note dans ses carnets des listes de mots, d’expressions, de phrases, qu’il attribuera ensuite à des personnages différents, après avoir parfois hésité, comme s’il fallait détourner la source du langage entre plusieurs canaux. Chaque personnage a son vocabulaire, sa syntaxe, sa prononciation, mais il en change à mesure qu’il évolue: Albertine montre successivement sa maturité, puis sa perversion, par l’usage de mots nouveaux. De même que Balzac révèle tout un personnage dans un mot, de même Proust: c’est la duchesse de Guermantes déclarant «On est toujours invité», Charlus disant «J’étais né pour être bonne d’enfants», Bergotte mourant face au petit pan de mur de La Vue de Delft de Vermeer, qui lui donne une dernière leçon, et répétant «Petit pan de mur jaune». Comme pour rendre plus importante la tâche de l’interprète, l’herméneutique, tout le monde ment chez Proust: il y a une vérité cachée derrière les mots, qui n’est pas dans leur contenu, mais parfois dans leur forme, et que le narrateur traduit, sans être sûr de parvenir à la vérité; aussi faut-il sans cesse faire parler à nouveau les héros. Les dialogues ne sont donc plus écrits seulement pour faire progresser l’action; révélateurs des âmes, ils renseignent, aussi, cependant, sur les autres personnages, l’histoire (pendant l’affaire Dreyfus et la Grande Guerre, Proust, plutôt que de raconter ce que l’on sait, préfère faire parler), les progrès de l’amour et de la jalousie, le monde des idées, de l’esthétique, de la philosophie: les concepts peuvent alors être exposés sans être pris en charge par le narrateur.

Dans la distance entre le langage des personnages et celui du narrateur, il faut lire la présence de l’ironie. Au-delà des mots d’esprit, dans le style de Meilhac et Halévy, que Proust a recueillis pour les avoir entendus, et qu’il a attribués à Mme de Guermantes et à Swann, il y a une forme d’ironie, déjà présente dans le pastiche, qui provient du jeu entre deux discours. Le ressort de l’ironie est, en effet, dans la mention d’un discours par un autre, de celui d’un personnage présenté par le narrateur: tours de physionomie, expressions, affirmations sont constamment décalés par rapport à notre norme implicite. Dans des propos en apparence normaux, Proust montre toujours une distance, un travers qui provoquent le sourire du lecteur pris implicitement à témoin: les gaffes du directeur d’hôtel de Balbec, de Cottard, le pédantisme de Brichot, le vide solennel de Norpois sont ainsi imités, pastichés comme s’ils préexistaient au texte. Si tous les propos – sauf dans les dialogues amoureux ou jaloux – prennent une valeur comique, c’est que cette valeur n’est pas dans les choses, mais dans l’intention, l’esprit même de l’artiste. Dès Jean Santeuil , Proust l’affirme: une personne spirituelle trouve en tout de la drôlerie, et, «si nous croyons qu’il y a peu de choses drôles, c’est que nous ne savons pas les voir»; la gaieté, «élément fondamental de toute chose», peut être dégagée de toute parole. Il faut donc rapprocher les pastiches, citations déformées et reformées des textes écrits par les prédécesseurs de Proust; les dialogues des héros, propos qui se déforment par rapport à la norme du naturel et de la vertu; le monologue du narrateur, capable aussi de distance critique, ou d’imitation, par rapport à son propre discours. Le lecteur de l’un de ces grands chefs-d’œuvre du comique est dans la situation de cet ami à qui Proust écrivait: «J’aurais bien des petites choses amusantes à vous dire. Il y en a toujours partout même si on est seul, même si on meurt.»

Un récit sans frontières

Le langage des personnages est intégré au récit. Dans ses manuscrits, Proust allait très rarement à la ligne, et les propos, à peine indiqués par des guillemets, étaient pris dans la continuité d’un texte, d’ailleurs fait pour être lu à haute voix: la ponctuation actuelle a été restituée par les éditeurs. Il ne faut donc pas s’étonner de ne pas pouvoir aisément dissocier, dans le bloc du récit proustien, les trois éléments habituels d’un roman: récit, dialogues, descriptions. Les descriptions de paysages naturels, et de Venise, s’imposent avec force à la mémoire du lecteur de la Recherche . Cependant, l’étude statistique du vocabulaire montre que les termes de nature sont, chez Proust, beaucoup plus rares que chez les écrivains de son temps, et que le thème de la nature décroît encore considérablement après les Jeunes filles , pour reparaître faiblement dans Le Temps retrouvé ; dans Swann même, il est presque absent d’«Un amour de Swann». L’espace ne joue plus le rôle de décor qu’on lui a connu, encombrant, omniprésent, chez Balzac ou Zola. Dans les grands moments du récit, il a la même fonction qu’un personnage. Les aubépines, les trois arbres d’Hudimesnil, les clochers de Martinville font signe comme des êtres humains, et la mer de Balbec est une grande créature immortelle: c’est la métaphore qui les humanise, et la description est le lieu privilégié de celle-là. Les décors, les objets, les lieux sont semblables aux héros proustiens, également parce qu’ils sont soumis au temps: le bois de Boulogne de 1913, dont la peinture termine Swann , n’est déjà plus celui où le narrateur regardait Odette se promener; le Paris du Temps retrouvé n’est plus celui de Guermantes, et Combray, pendant la guerre de 1914, efface le bourg de l’enfance: le décor n’est immobile que dans la mémoire.

Humanisé, le paysage l’est encore parce qu’il est lié aux personnages: Gilberte est inséparable d’une allée de Tansonville, les jeunes filles, du bord de mer. Au gré des instantanés, du passage du temps, les héros peuvent changer d’horizon: ils en ont, comme en peinture, toujours un; le narrateur même est inséparable de ses chambres successives. Chaque passion a aussi son paysage, et la vocation de l’artiste sent, sous l’apparence du monde, se révéler son essence: d’où la vacuité, souvent signalée par Proust, de l’inventaire naturaliste, qu’il moque dans le pastiche du Journal des Goncourt, placé dans Le Temps retrouvé au moment où le narrateur désespère d’être jamais écrivain. Les cinq villes où se passe le roman – Combray, Paris, Balbec, Doncières, Venise, dont trois sont imaginaires – sont liées, dans chacun de leurs édifices, de leurs jardins, de leurs canaux, à une découverte, à un drame, à une perversion, et elles sont, de plus, préparées pour les bienheureuses résurrections de la mémoire. La convergence de la passion, de l’animation, du souvenir, assurent aux lieux proustiens, de l’église de Combray à l’hôtel louche du Temps retrouvé , une présence analogue à celle que le narrateur admire, lorsqu’il parle des maisons de Dostoïevski.

Objet du souvenir, objet du rêve aussi, le lieu, l’espace donnent enfin au récit sa structure. Le «Côté de chez Swann» et le «Côté de Guermantes» composaient les deux premières parties de la triade de 1913. Le premier, c’est la nature, la famille, l’amour, le sadisme de Mlle Vinteuil à Montjouvain; le second, c’est l’aristocratie, le thème de l’ascension sociale, c’est-à-dire deux côtés du «sol mental» du narrateur, qui seront unifiés au début du Temps retrouvé . Du «Côté de chez Swann» est issu Balbec, du «Côté de Guermantes», Sodome et Gomorrhe. Il est peu de romans où la géographie l’emporte à ce point sur l’histoire; toute la fonction de la description en est changée: elle est devenue construction, action, personnages, au moment où les héros ne comptent pas plus, mais pas moins, que les fleurs.

La destruction des personnages

À la fin comme au début de la Recherche , le narrateur est seul. Entre-temps, on aura vu apparaître, disparaître, reparaître plus de cinq cents personnages. La variété de leurs milieux sociaux, de leurs professions, de leurs générations (trois, au cours du récit) est plus importante qu’on ne le dit parfois: la place des différentes couches de l’aristocratie est très grande, et fournit un témoignage capital sur sa disparition de la scène politique au moment de l’avènement de la république. Mais la bourgeoisie est également représentée, avec les groupes divergents qui la constituent, des riches Verdurin à l’humble Saniette; les professions qu’elle exerce ne sont pas, contrairement à ce qui se passe chez Zola, montrées sur le lieu du travail, mais dans la déformation qu’elles font subir à l’individu lorsqu’il ne travaille pas; Cottard, Brichot en sont l’exemple. Les classes populaires comprennent, certes, les domestiques, encore très nombreux en France à cette époque, mais aussi des boulangères, des garçons bouchers, des télégraphistes, des soldats, tout un groupe de figurants dont on oublie l’existence.

Proust ne songeait cependant pas à rivaliser avec La Comédie humaine , parce qu’il ne voulait décrire que ce qu’il avait connu, et que les passions, le temps, la poésie ne lui paraissaient pas dépendre des classes sociales: l’amour était, selon lui, identique chez la princesse de Guermantes et chez un conducteur d’autobus. Le snobisme même, il ne le décrira que comme une rêverie doublée d’une passion et, au niveau de l’intrigue, comme une ascension sociale, mais purement formelle: l’ambition, chargée chez Balzac de lourds contenus, a ici une beauté géométrique. En fait, aucune passion n’est décrite pour elle-même, mais l’amour pour ce qu’il contient d’imaginaire, d’angoisse, de sadisme. Sa variante, l’inversion, parce qu’elle métamorphose les sexes, devient «une sorte de fantaisie poétique»; le sadomasochisme du baron de Charlus est une rêverie médiévale de forteresses et de cachots.

Proust innove de plusieurs manières dans la peinture des personnages. Ils n’ont plus droit à un portrait en pied: leur visage, leur âge, leur taille, leurs vêtements sont l’objet d’impressions fragmentaires. Ils apparaissent un instant, et, lorsqu’ils reparaîtront, l’image qu’ils laisseront sera différente. C’est qu’ils sont tous soumis au point de vue du narrateur, relayé parfois par d’autres personnages. Chaque héros est mis ainsi en perspective, et il n’y a plus de vérité objective, de réalité certaine, mais des esquisses à compléter, ou à corriger: Albertine est vue de manière différente par le narrateur, Saint-Loup, la mère, Françoise, Andrée. Il est donc impossible de connaître une personne; elle est «une ombre où nous ne pouvons jamais pénétrer»; nous nous en faisons une opinion en analysant des paroles, des actions, qui fournissent des renseignements contradictoires, si bien que les personnages importants gardent tous leur secret. La réalité est encore brouillée parce que la perspective du narrateur change au cours du temps: il y a une histoire du point de vue. Enfin, et surtout, les personnages, déjà inconnaissables à un moment précis où la perception les isole, subissent, comme le dit un titre de chapitre, des «coups de barre et changements de direction dans les caractères»: Gilberte Swann, petite fille de Combray, n’a presque rien à voir avec Gilberte de Saint-Loup; Charlus, arbitre des élégances, apparaît une dernière fois en vieillard déchu; le narrateur lui-même, qui se croit toujours jeune, s’entendra appeler «le père Untel». Il n’y a donc plus, dans la Recherche , ni caractère ni personnage classique, que l’on puisse résumer et juger. Des ombres insaisissables glissent, emportant leur secret, mais le paradoxe est que Swann, la duchesse de Guermantes, Gilberte, Charlus, gardent la fascination des images mobiles.

Les paradoxes du temps

Si Proust a mis si longtemps à inventer sa technique romanesque, c’est que, dès Les Plaisirs et les jours , le temps à décrire s’est imposé à lui sous deux aspects d’apparence inconciliable. D’une part, l’instant poétique, la minute heureuse, le moment où la contemplation d’un paysage, l’évocation d’un souvenir donnent une impression de félicité: les poèmes en prose du premier livre de Proust retracent déjà de pareilles impressions, qui abondent dans Jean Santeuil . D’autre part, la conscience du passage du temps, qui n’aurait rien d’original, si elle n’était liée au souci de le montrer en action, c’est-à-dire en décrivant le vieillissement des personnages et le changement des lieux: Jean Santeuil contient de nombreuses allusions à la mort qui menace tragiquement les parents de Jean, à mesure qu’ils avancent en âge, mais le roman échoue à montrer l’écoulement temporel, qui est affirmé, mais non revécu de l’intérieur, et qui est d’autant moins impressionnant que des souvenirs involontaires viennent indiquer, dès le début, la possibilité de ressaisir le passé. Pour écrire la Recherche , Proust a dû renoncer à présenter d’emblée les impressions heureuses, les extases de mémoire comme une solution au problème du temps: elles ne figurent, dans Swann , que comme questions sans réponse (alors que, dans les brouillons, la réponse était tout de suite donnée, elle est, dans la dernière version, reportée au Temps retrouvé ). Le narrateur ne peut retrouver le temps avant de l’avoir perdu: en tant que héros, il doit paraître victime du vieillissement, de la maladie, de la mort des autres; en tant qu’écrivain, l’épisode de la madeleine est placé de manière à lui donner l’ébranlement nécessaire, la matière de son récit, mais il ne le comprend qu’à la fin. Grâce à la mémoire involontaire, rien n’est perdu de ce qui a été vécu, mais le sentiment ne suffirait pas à provoquer le bonheur, si le rapprochement de deux instants très éloignés ne recréait une minute hors du temps. C’est l’ultime paradoxe: l’intemporel recrée le temps.

La confusion des genres

L’instant miraculeux qui échappe au temps relève de la poésie: Baudelaire avait donné l’exemple, lui qui est, plus que Balzac ou Ruskin, le principal maître de Proust. L’intrigue multiple, la comédie des personnages signifient que la Recherche est un roman. Cependant, les longues réflexions ou analyses du narrateur, la méditation esthétique du Temps retrouvé évoquent l’essai. D’autres genres, mineurs, sont également intégrés au récit: des pastiches, des dizaines de lettres. À la recherche du temps perdu inaugure une tendance du XXe siècle, qui abolit les frontières entre genres littéraires, parce que l’œuvre ne se satisfait plus des limites du roman, de l’essai ou du poème, et veut être tout à la fois, une synthèse.

Proust affirme dans la Recherche que tout y a été inventé en vue de sa démonstration. Qu’il s’agisse en effet du comportement humain, de la société, de l’histoire des nations, il veut dégager des lois. L’intelligence les extrait de la réalité et unifie la diversité des êtres et des choses. On a pu considérer que Proust était déchiré entre deux tendances, entre le romancier et le moraliste. Le danger était de tomber dans le roman à thèse, en traitant les héros comme des prétextes, les supports des lois psychologiques ou sociales: «Les êtres les plus bêtes, par leurs gestes, leurs propos, leurs sentiments involontairement exprimés, manifestent des lois qu’ils ne perçoivent pas, mais que l’artiste surprend en eux», écrit Proust. Il faut ajouter les exposés sur la stratégie, les cris de Paris, l’inversion, que le romancier intègre à son récit, en attendant le grand «morceau intellectuel» de «L’Adoration perpétuelle». Mais Proust échappe aux dangers de l’abstraction parce qu’il la dégage toujours, lui-même, de l’individu: il n’y a pas de loi sans évocation du concret, c’est-à-dire du roman. De plus, ces lois évoluent elles aussi, n’échappent pas au temps romanesque, ni au point de vue. Quant à l’esthétique développée dans Le Temps retrouvé , elle est intégrée à la vie du héros principal, comme la sonate de Vinteuil à celle de Swann. La découverte de la vocation artistique est devenue un événement fictif, annoncé par les moments d’extase qui jalonnent le récit, et sont autant de signes. À la recherche du temps perdu est le roman des signes, plus que des idées.

Cependant, les vérités ainsi dégagées, l’analyse toujours poursuivie, l’intégration à l’œuvre de toute la culture de son temps (de la médecine à la stratégie, de la cuisine à l’esthétique) ne sont là que pour enchâsser des moments plus précieux, ceux mêmes avec lesquels le jeune Proust avait voulu composer Les Plaisirs et les jours et Jean Santeuil . Il n’a pu rédiger son roman qu’en renonçant à en faire un long poème en prose, la rêverie intérieure du héros devant contraster avec la prose du monde. Les minutes «affranchies de l’ordre du temps» sont mises en relief par le traitement même du temps, et elles en sont la source. L’intemporel, lié à la poésie, définit les conditions de possibilité de l’œuvre, mais n’en tient pas lieu. On le voit dans la «Matinée chez la princesse de Guermantes», qui conclut l’œuvre (dès la version de 1909): elle juxtapose la découverte de l’éternité et celle du passage du temps, du vieillissement des êtres. Ainsi la vérité est-elle vécue dans le récit, exposée dans les analyses et les lois, tranfigurée dans la poésie. À la recherche du temps perdu effectue donc la synthèse de toutes les tentations antérieures, de tous les autres écrits de Proust: on y retrouve les paysages, les minutes d’extase et de nostalgie de son premier livre, les réminiscences de Jean Santeuil , l’esthétique des préfaces à Ruskin, les salons des chroniques mondaines, la conversation sur Sainte-Beuve répartie entre les passages esthétiques ou incarnée en Mme de Villeparisis, les pastiches dispersés de manière quasi invisible par le travail de l’écriture. Tous les genres, tous les arts (la musique, la peinture) se retrouvent dans ce roman encyclopédique.

Une phrase sans fin

La fascination qu’exerce l’œuvre de Proust – ou, parfois, les réactions de rejet qu’elle provoque – commence à la phrase, à ce contact direct avec la chair de la littérature qui est le style. Notons-le d’abord: l’originalité du style proustien ne vient pas de la richesse et de l’étendue lexicales. Proust n’invente de mots que pour transcrire ironiquement le langage parlé, et ne recherche pas les vocables rares. Parmi les termes les plus employés, l’ordinateur relève «jour», «femme», «croire», «vouloir», «vie», «jamais», «temps», «moment», «homme», «ami», «aimer», «mère»; cet ordre contient déjà, dans sa simplicité, les grands thèmes du roman. L’analyse informatique de la phrase confirme le sentiment des lecteurs: en moyenne trente mots par phrase, ou trois lignes par phrase de l’édition de la Pléiade, soit deux fois plus que les autres écrivains. Les phrases sont plus longues au début et à la fin de l’œuvre, plus courtes au milieu; une phrase de «Combray» comporte 518 mots. Enfin, les phrases sont d’autant plus longues par rapport à cette moyenne qu’il y a un tiers de phrases brèves. On note d’autre part l’abondance des tirets et des parenthèses, qui signalent l’originalité de la phrase proustienne: ce sont des éléments qui introduisent une distance entre ce qui est raconté et le narrateur, et qui divisent la réalité décrite. Ce qui permet à la phrase proustienne d’être longue, plus encore que celle de Chateaubriand, par exemple, c’est sa construction: elle ordonne, subordonne, rapproche ou sépare, corrige. Elle contient une tension entre deux mouvements: le premier est celui de l’observateur serein qui reconstruit le monde par un langage clair; le second est dans le morcellement, la fièvre du chercheur, qui énumère les qualités, accumule les hypothèses. La phrase, la période, le paragraphe ont d’autre part un rythme qui communique son ébranlement au texte tout entier: les propositions dans la phrase, la phrase dans le paragraphe, les mots dans la phrase dessinent des figures sonores qui les rendent reconnaissables à leur forme même, comme un chant dont on ne comprendrait pas encore les paroles. Outre la rigueur de la construction et la complexité, on retiendra donc la musicalité comme un trait fondamental du style de Proust, qu’il a lui-même représenté dans le style de Bergotte: allitérations, harmonies imitatives, cadences, répétitions.

Pour Proust, le style se caractérise non seulement par la musicalité, mais par l’emploi des images, et surtout de la métaphore. De même que l’extase de mémoire rapproche deux moments différents, que la loi unifie plusieurs phénomènes distincts, la métaphore réunit deux objets du monde ou deux signes du langage. Si l’écrivain n’est pour rien dans la beauté des mots, il est entièrement responsable de ses images. Elles abolissent la distance entre les choses, traduisent l’approfondissement intérieur auquel l’écrivain a procédé à partir de sa perception, échappant aux défauts de la littérature de «notations» (celle des Goncourt). Tout est alors métamorphosé sans que l’on puisse considérer que, dans les images, un thème ou une obsession domine: l’analogie, comme chez Baudelaire, est réciproque. L’image tire sa force d’être fondée, non sur la logique, ni, bien entendu, sur les lieux communs fournis par le littérateur classique, mais sur l’impression, la contemplation solitaire de leur créateur. La beauté n’est pas, cependant, séparable de la vérité; comme l’écrit Proust, dans sa préface à Tendres Stocks de Morand, «la beauté du style est le signe infaillible que la pensée s’élève, qu’elle a découvert et noué les rapports nécessaires entre les objets que leur contingence laissait séparés». Le sens de cette œuvre immense et unique est donc à trouver, par-delà tous les changements qu’elle a apportés à la littérature mondiale, dans l’unité du sens, du roman et du monde.

Источник: PROUST (M.)

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