Né le 8 mai (qui n’était pas encore le «V-Day») à Glen Cove, Long Island, État de New York, Thomas Pynchon est issu d’une famille de pionniers puritains du XVII
e siècle. Parmi ceux qui s’embarquèrent pour le Nouveau Monde lors de la grande migration puritaine de John Winthrop, en 1630, figurait en effet un William Pynchon qui devait ouvrir, en pays mohawk, la première piste des fourrures jusqu’à la rivière Connecticut. Lu sous cet angle, chaque livre de Thomas Pynchon fait le procès historique des grandes dynasties qui fondèrent l’Amérique, dénonce les ravages causés par l’obsession de la conquête dans ce continent qui fut, un jour, d’une flamboyante diversité, aujourd’hui perdue. Thomas Pynchon s’est toujours tenu dans un anonymat presque sans faille (pas d’interviews, presque aucune photo). On sait cependant qu’il a fait des études de physique à Cornell University, où il a suivi, entre autres, les cours de Vladimir Nabokov, et qu’il est membre du comité de rédaction du
Cornell Writer . De cette époque date son premier texte publié (
The Small Rain , 1959). Il a servi un an dans la marine, expérience dont témoignent certains épisodes rocambolesques de son roman
V . Il a également travaillé quelque temps comme rédacteur scientifique pour la compagnie Boeing, à Seattle. Dès 1960, la courte nouvelle «Entropy» (parue dans
Kenyon Review ) révèle un auteur hanté par la figure de Henry Adams et par sa théorie, adaptée de la thermodynamique de son temps, sur la dégradation de l’histoire. La dislocation entropique jusqu’au chaos, où s’esquisse la promesse d’un renouveau, allait rester le thème lancinant de Pynchon, celui qui lui permet de greffer sa culture scientifique sur la lecture puritaine qu’à l’ombre des grands de cette tradition (
Hawthorne,
Melville, Henry James et Henry Adams) il fait de l’histoire humaine. Paru en 1963,
V entrecroise le récit picaresque des déambulations de Benny Profane, le vagabond — errant dans les rues de New York, traquant, en compagnie de son gang beatnik de joyeux lurons, les alligators dans les égouts de la ville —, et la patiente recherche que mène Herbert Stencil le décrypteur, qui, furetant dans les documents de l’histoire du XX
e siècle, détecte, de l’Alexandrie du début du siècle à l’île de Malte en 1937, en passant par le Sud-Ouest africain des années 1920, l’énigmatique omniprésence du signe V partout où se produit une éruption de volcanique violence. L’histoire est un complot, une cabale dont le polysémique signe V est la clé mystérieuse. Ce thème du décryptage de l’histoire comme complot, que
V traite sous la forme d’une fable dans la tradition des «mascarades» de Melville, revient avec
Vente à la criée du lot 49 (
The Crying of Lot 49 , 1966), cette fois dans une sorte de pastiche des romans de Hammett ou de Chandler. Détective à sa manière, Oedipa Mass traque dans le paysage californien les indices épars d’un «
complot» qui s’évanouit, par dégradation entropique de l’information, au fur et à mesure qu’elle croit approcher de la clé du mystère où elle est piégée. Puis ce fut, en 1973, le vaste roman
Gravity’s Rainbow (
L’Arc-en-ciel de la gravité ), qui hissa Thomas Pynchon au tout premier rang. Vaste fresque apocalyptique, d’une ampleur sans pareille depuis le
Moby Dick de Melville, dont d’ailleurs elle retravaille les thèmes,
Gravity’s Rainbow suit les vagabondages d’un certain Slothrop, officier américain du Renseignement et héritier déchu d’une vieille dynastie puritaine obsédée par la conquête de l’espace et le déchiffrement des textes sacrés, depuis le Londres crépusculaire de l’automne 1944, où chaque nuit les V2 de Wernher von Braun «déchirent le ciel», jusqu’au paysage chaotique de la «
zone», les décombres de l’Allemagne en ruine au lendemain de sa capitulation, le 8 mai 1945. Mais à travers cette rhapsodie épique, cette fatrasie post-joycienne, c’est aussi toute l’histoire de l’Amérique qui est mise en perspective, depuis ses origines calvinistes jusqu’à l’expédition lunaire de 1969. La hantise du complot et du déchiffrement, le péché de l’extermination des Indiens et de la dévastation des terres, qu’il faut expier, la course effrénée à la conquête de l’espace, tout se noue et s’orchestre ici dans une vaste somme lyrique, picaresque, encyclopédique qui domine, et de loin, tout ce qui s’est écrit depuis la Seconde Guerre mondiale en Amérique du Nord. La presque totalité des nouvelles de Pynchon a été publiée en 1984 sous le titre
Slow Learner (
L’Homme qui apprenait lentement ). En 1989,
Vineland marque son retour au roman. À nouveau, Pynchon se sert de la forme du thriller et donne pour point de départ à son récit l’Amérique des années 1970, l’époque du Mouvement radical, de Richard Nixon et des émeutes d’Attica. «
Vineland est un roman proustien de la mémoire — mais où l’écran cathodique aurait remplacé le petit pan de mur jaune» (P. Y. Pétillon).