Книга: Tolstoi L. «Anna Karenina, 1»

Anna Karenina, 1

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En 1887, ocho a&# 241;os despu&# 233;s de la publicaci&# 243;n de«Guerra y paz» (BA 0891 y BA 0892), Le&# 243;n Tolstoi (1828-1910) pone punto final a su novela ANNA KARENINA, uno de los m&# 225;s grandes monumentos de la historia de la literatura. Basado en unos cuantos incidentes reales y marcado por las preocupaciones&# 233;ticas generadas por la crisis espiritual que atravesaba el autor, el relato se centra en el adulterio de la protagonista, una de las tres historias conyugales que se entrelazan en la obra. Tolstoi&# 150;observa Juan L&# 243;pez-Morillas en el pr&# 243;logo a la novela&# 150; supo dotar a sus criaturas de ficci&# 243;n como pocos escritores lo han hecho de una«intensa sensaci&# 243;n de presencia inmediata, de humanidad palpitante, en una palabra, de verdad».

Издательство: "Alianza" (2011)

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TOLSTOÏ (L.)

TOLSTOÏ (L.)

Romancier dont le génie créateur, nourri par un vitalisme instinctif, a toujours été dominé et dirigé par le besoin d’une règle de conduite absolue, Tolstoï s’est tourné dans la seconde moitié de sa vie vers la prédication d’un christianisme renouvelé, ramené à la stricte observance de la loi d’amour, au nom de laquelle il condamne les structures économiques, sociales et politiques du monde moderne et les formes d’art qui en sont le fruit. Cette intransigeance rigoureuse de l’exigence morale appliquée à tous les domaines de la vie individuelle et collective a fait de Tolstoï l’un des maîtres spirituels du XXe siècle naissant.

La formation et les débuts littéraires (1828-1855)

Quatrième fils (et avant-dernier enfant) du comte Nicolas Iliitch Tolstoï (Nikolaj Il’i face="EU Caron" カ Tolstoj) et de la comtesse, née princesse Marie Volkonski (Marija Volkonskaja), Léon Tolstoï a perdu sa mère à deux ans et a été élevé jusqu’à sa neuvième année dans le domaine de Iasnaïa Poliana (Jasnaja Poljana), près de Toula, par une tante, Tatiana Ergolskaïa (Tat’jana Ergol’skaja). Après la mort de son père, qui suit de près le déménagement de la famille à Moscou, en 1837, il est placé avec ses frères et sa sœur sous la tutelle de deux autres tantes, Alexandra Osten-Saxen (Aleksandra Osten-Saksen), puis Pélagie Youchkov (Pelageja Juškova), à Kazan. C’est à Kazan qu’en 1844 il entre à la section de philologie arabe et turque de la faculté de philosophie, qu’il abandonne l’année suivante pour la faculté de droit. Cependant, en avril 1847, peu satisfait de l’enseignement reçu à l’université, il la quitte pour assumer ses responsabilités de gentilhomme propriétaire (pomeš face="EU Caron" カik) du domaine de Iasnaïa Poliana (sa part de l’héritage paternel), tout en se consacrant à son perfectionnement physique, intellectuel et moral dont il tient une rigoureuse comptabilité dans son journal intime. Néanmoins, tiraillé entre des velléités contradictoires, succombant fréquemment à des tentations qu’il réprouve, souffrant de l’écart qui se creuse ainsi entre ses exigences ascétiques et sa vie réelle, il part en avril 1851 rejoindre dans la «stanitsa» (stanica ) cosaque de Starogladkovskaïa (Starogladkovskaja) sur le Terek, à la limite des régions insoumises, son frère Nicolas (Nikolaj), officier de l’armée du Caucase. Il participe, d’abord comme volontaire civil, puis comme élève-officier et enfin comme aspirant, à plusieurs opérations contre les montagnards rebelles commandés par Chamil. Au moment de la guerre de Crimée, il est envoyé sur sa demande dans Sébastopol assiégé, et participe activement à sa défense dans l’un des bastions les plus exposés (nov. 1854-août 1855).

Au Caucase, Tolstoï a pu se consacrer aux projets littéraires ébauchés peu avant son départ, notamment au roman Les Quatre Âges du développement ( face="EU Caron" アetyre epoki razvitija ), d’où sortira une trilogie autobiographique, formée des récits: Enfance (Detstvo ), Adolescence (Otro face="EU Caron" カestvo , 1854) et Jeunesse (Junost’ , 1857). Encouragé par le succès de l’Enfance , parue en septembre 1852 dans la revue Le Contemporain (Sovremennik ), il écrit, tout en continuant sa trilogie, une série de récits fondés sur des épisodes vécus de la guerre du Caucase et de celle de Crimée: Le Raid (Nabeg , 1852), L’Abattage de la forêt (Rubka lesa , 1855), Sébastopol en décembre (Sevastopol’ v dekabre , 1855), Sébastopol en mai (Sevastopol’ v mae , 1855), Sébastopol en août (Sevastopol’ v avguste , 1856) qui lui apportent la célébrité.

La littérature est d’abord pour le jeune Tolstoï un instrument d’auto-analyse et d’autodétermination. Son penchant pour l’introspection et pour l’examen de conscience s’exprime dans ses premières œuvres par la lucidité avec laquelle il perce, jusque chez l’enfant, le masque des convenances pour atteindre aux nuances contradictoires du sentiment et au flux imprévisible de la vie psychologique – ce que l’un de ses premiers critiques, Tchernychevski (face="EU Caron" アernyševskij), appellera «la dialectique de l’âme». Son don plastique lui permet de reconstituer fidèlement la sensation à travers laquelle est instinctivement perçu ce qui se cache sous le mensonge des mots et des attitudes: d’où le découpage de l’action en scènes discontinues, organisées autour de la valeur affective globale d’un instant donné, qui donne leur sens véritable aux détails physiques précis servant à le reconstituer. Fidèle à l’esthétique du réalisme, Tolstoï s’applique à définir et à peindre des types: types de soldats dans L’Abattage de la forêt , types d’officiers dans Le Raid ou dans Sébastopol en mai . Mais chez le héros autobiographique de sa trilogie, Nikolenka Irteniev, il cherche moins à mettre en évidence les particularités d’un type social ou d’un caractère que les lois générales du développement de la personnalité et du fonctionnement du psychisme. D’autre part, les études de caractère que contiennent les «récits militaires» servent surtout, en saisissant les personnages au moment du danger, à définir un critère d’évaluation de la personnalité: en faisant apparaître sous le masque du courage les motivations de la vanité, Tolstoï substitue en fait aux critères moraux habituels le critère, plus esthétique que moral, de l’authenticité, de la spontanéité, du naturel, en vertu duquel les soldats et les officiers subalternes issus de la petite noblesse provinciale se montrent supérieurs aux aristocrates venus de la capitale.

L’œuvre de jeunesse (1856-1862)

En congé dès novembre 1855 (sa démission de l’armée ne sera acceptée qu’un an plus tard), Tolstoï peut revenir en Russie où la mort de Nicolas Ier et l’avènement d’Alexandre II font présager d’importantes réformes, notamment l’abolition du servage. Accueilli à bras ouverts à la rédaction du Contemporain , haut lieu du libéralisme occidentaliste, il laisse apparaître dans son œuvre la défiance que lui inspirent les idées qui y ont cours. La nouvelle Deux Hussards (Dva gusara , 1856) applique le «critère d’authenticité» à l’opposition de deux générations, en un sens favorable au passé. Bref récit autobiographique, Lucerne (Ljucern ), écrit pendant un premier voyage en Europe occidentale (février-juillet 1857), dénonce avec un mélange d’orgueil aristocratique et d’égalitarisme démocratique l’égoïsme individualiste ainsi que la mesquinerie bourgeoise de l’Occident. Dans le débat qui, à la rédaction du Contemporain , oppose l’esthétique utilitaire des «hommes nouveaux», radicaux et révolutionnaires, aux critiques libéraux modérés de sa génération, Tolstoï prend le parti de ces derniers: la nouvelle Albert (Al’bert , 1858), qui a pour héros un musicien génial, pitoyable ivrogne en dehors de son art, illustre le discours de réception que Tolstoï prononce en 1859 devant la Société des amis de la littérature russe, où il plaide la cause d’un art affranchi des passions du moment. Cette attitude provoque en 1859 une rupture avec le Le Contemporain , dont la section critique est passée entre les mains des «hommes nouveaux».

S’il prend ainsi ses distances vis-à-vis de l’intelligentsia progressiste, Tolstoï est loin de rester indifférent aux problèmes posés par l’abolition du servage. Dès 1856, il a proposé sans succès à ses serfs un plan d’affranchissement. De mai 1861 à avril 1862, il exerce dans un sens favorable aux paysans les fonctions de juge de paix chargé d’arbitrer les litiges surgis avec les anciens propriétaires à la suite de la réforme. Surtout, il se préoccupe de l’éducation des paysans: en 1859, il crée à Iasnaïa Poliana une école enfantine où, après un second voyage en Europe occidentale qu’il consacre en grande partie à une enquête sur l’enseignement primaire, il met au point une méthode et des principes d’éducation populaire pour la propagation desquels il fonde et dirige, de janvier 1862 à avril 1863, la revue pédagogique Iasnaïa Poliana (Jasnaja Poljana ). Il s’y élève contre toute tentative d’imposer aux paysans une instruction étrangère à leur mode de vie et à leurs besoins matériels et spirituels, et soutient que c’est l’élite cultivée qui doit s’instruire auprès du peuple, et non l’inverse. Cette conception de l’éducation populaire sera attaquée comme «réactionnaire» par Tchernychevski dans Le Contemporain .

Les rapports entre paysans et gentilshommes occupent une place importante dans l’œuvre littéraire de ces années, où ils apparaissent sous un jour à la fois social et moral. D’une part, Tolstoï fait ressortir le fossé qui sépare l’univers du paysan et celui du propriétaire, et qui condamne à l’inefficacité les efforts les plus désintéressés du second: la générosité du seigneur se heurte, dans La Matinée d’un propriétaire (Utro pomeš face="EU Caron" カika , 1856), à la défiance séculaire des serfs, tandis que dans Polikouchka (Polikuška , 1863) elle conduit tragiquement à sa perte celui qui en est le bénéficiaire. D’autre part, le mode de vie paysan représente, face à celui du gentilhomme, un principe d’authenticité: tel est le sens du récit Trois Morts (Tri Smerti , 1859), où la mort «païenne» du paysan, proche de la nature, ressemble davantage à la mort majestueuse d’un grand arbre qu’à la pitoyable mort «chrétienne» de la vieille dame noble. La dénonciation de l’artifice et des conventions qui régissent la vie des classes privilégiées est aussi le thème du récit Kholstomer (connu aussi sous son titre français, Le Cheval ), écrit pour l’essentiel en 1862, où la société est vue et jugée du point de vue de la nature, dont un cheval est le porte-parole.

Tolstoï continue cependant à chercher dans la création littéraire un moyen de s’analyser en transposant une expérience vécue: il a entrepris, dès 1852, un Roman d’un propriétaire russe (Roman russkogo pomeš face="EU Caron" カika ) autobiographique, dont La Matinée d’un propriétaire est le résidu. Un projet avorté de mariage lui inspire en 1859 Le Bonheur familial (Semejnoe s face="EU Caron" カastie ), récit qui peint avec beaucoup de justesse l’amour naissant d’une jeune fille pour un homme mûr. Mais c’est surtout avec Les Cosaques (Kazaki ), roman achevé en 1863 après être resté dix ans sur le métier, que Tolstoï a écrit le roman de sa jeunesse tout en dressant le bilan de son œuvre et de sa pensée des dix dernières années. Le conflit entre nature et civilisation y est vécu comme un conflit entre la spontanéité vitale et la réflexion morale par le gentilhomme Olénine (Olenin), que sa jeunesse et son appétit de vivre rendent particulièrement sensible à l’attrait du mode de vie des Cosaques du Terek, accordé à la nature luxuriante du Caucase et à la majesté de ses cimes neigeuses, tel qu’il est justifié par le vieux chasseur Erochka (Eroška), vécu par le jeune guerrier Loukachka (Lukaška) et incarné par la fiancée de celui-ci, la jeune Cosaque Marianne (Mariana), dont la beauté sculpturale, sereine et majestueuse, domine le récit. L’échec d’Olénine, rejeté par l’univers des Cosaques auquel il aspire à se fondre, traduit la difficulté que Tolstoï éprouve à assumer la morale vitaliste que paraît impliquer le critère de l’authenticité.

Les grands romans (1863-1877)

Marié le 23 septembre 1862 avec Sophie Bers (Sofija Andreevna Bers, 1844-1919), fille d’un médecin militaire, Tolstoï s’installe à Iasnaïa Poliana où la vie de famille et les soins de son domaine l’absorbent, tout en lui laissant suffisamment de loisirs et de liberté d’esprit pour entreprendre une œuvre monumentale. L’amnistie qui, à l’avènement d’Alexandre II, a permis le retour de certains décembristes exilés en Sibérie, lui a suggéré l’idée d’un roman confrontant à travers l’un d’eux la Russie de 1856 à celle de 1825. Mais ce projet, qui a reçu en 1860 un commencement de réalisation, le ramène à l’époque des guerres contre Napoléon, qui ont provoqué l’élan national d’où est sortie la rébellion décembriste. Son imagination travaille sur cette période, qui est celle de la jeunesse de ses parents: il prendra ceux-ci pour modèles de deux personnages de son récit, Nicolas Rostov et Marie Bolkonski, dont les familles deviendront les deux foyers principaux d’un tableau de la vie domestique et mondaine de la haute société russe sous Alexandre Ier, tandis que la jeune sœur de Nicolas Rostov, Natacha, tour à tour courtisée par son cousin Boris Droubetskoï, demandée en mariage par le fier André Bolkonski, frère de la princesse Marie, séduite par l’insignifiant Anatole Kouraguine, et épousant en fin de compte le futur décembriste Pierre Bezoukhov, va fournir à l’œuvre son fil conducteur romanesque.

Cependant la conception de Guerre et Paix (Vojna i mir , 1863-1869) coïncide avec le cinquantenaire de la victoire contre Napoléon. D’abord simple toile de fond du roman, la «guerre patriotique» de 1812 en devient le véritable sujet, transformant l’œuvre en épopée et, dans sa dernière partie, en traité historique et historiosophique. En abordant le récit de la campagne de Russie, Tolstoï introduit dans l’action les personnages de Napoléon, d’Alexandre Ier, du maréchal Koutouzov, et conteste au nom de la «vérité» telle que la lui restitue son imagination de romancier les témoignages des contemporains et les interprétations des historiens. Pour lui, la Grande Armée, si elle est restée maîtresse du terrain à Borodino, y a cependant été frappée à mort: elle ne trouvera à Moscou, désertée par les habitants et par conséquent livrée à l’incendie, qu’un piège qu’elle devra fuir en toute hâte; les paysans qui ont fait le désert devant elle vont la harceler dans sa fuite. L’inaction apparente de Koutouzov procède donc d’une intuition très sûre des réalités, tandis que Napoléon, comédien odieux et pitoyable, victime de son propre jeu, croit diriger les événements alors qu’il n’en est que l’instrument. Ainsi se trouve démonté le mythe du «grand homme» et la conception volontariste de l’histoire, à laquelle Tolstoï oppose un fatalisme vitaliste qui voit dans les instincts obscurs de la masse humaine le ressort ultime et impénétrable de l’histoire et qui attribue par conséquent au peuple, fidèle à ses instincts, et non à la noblesse, trop consciente pour être efficace, un rôle déterminant dans le processus historique et en particulier dans la victoire russe contre Napoléon.

Tolstoï s’est projeté, selon son habitude, dans deux personnages du roman: le prince André Bolkonski, homme d’action énergique et ambitieux qui, blessé à Austerlitz, lit dans le grand ciel bleu qui domine le champ de bataille la vanité de la gloire terrestre et la petitesse de son idole Napoléon, et le rêveur Pierre Bezoukhov, faible et tourmenté, qui, après avoir cherché dans la franc-maçonnerie une réponse à son inquiétude spirituelle, la trouvera auprès de son compagnon de captivité, le paysan Platon Karataïev, qui lui enseignera l’acceptation de la vie, l’amour d’autrui et la non-résistance au mal. Clé de voûte de l’existence historique de la nation, le peuple se trouve donc détenir aussi la vérité morale et spirituelle.

Sur la lancée de Guerre et Paix , achevé en 1869, Tolstoï songe d’abord à un nouveau roman historique tiré cette fois de l’époque de Pierre le Grand. Repris par ses préoccupations pédagogiques, il travaille pendant deux ans à la rédaction d’un Abécédaire (Azbuka , 1872) comprenant quatre livres de lecture où «deux générations d’écoliers russes [...] puiseraient leurs premières impressions poétiques». Il revient à la création littéraire en 1873, sous le coup de la lecture d’un début de roman publié parmi les brouillons de Pouchkine. Le suicide d’une voisine lui fournit le sujet tragique d’Anna Karénine (Anna Karenina , 1873-1877), cependant que les discussions contemporaines sur l’émancipation de la femme donnent une résonance nouvelle au thème de l’adultère. L’épigraphe biblique: «Je me suis réservé la vengeance», qui dénie à la société le droit de juger, montre que Tolstoï, à travers la tragédie d’une femme que l’adultère accule au suicide, a d’abord voulu dénoncer l’hypocrisie du grand monde. Toutefois, l’attachement dont il s’est pris pour son héroïne, dont la généreuse vitalité est supérieure non seulement à la morale étriquée de son mari Karénine, incarnation de la bonne conscience pharisienne, mais aussi à la correction chevaleresque de son amant Vronski, qui représente le code de l’honneur mondain, transforme Anna Karénine en une peinture de l’amour tragique, qui porte en lui-même la destruction.

La tragédie d’Anna Karénine n’est cependant que l’axe dramatique d’un vaste panorama de la Russie des années soixante-dix, construit, selon le modèle de Guerre et Paix , par l’entrelacement de plusieurs destinées, en particulier celle du gentilhomme propriétaire Constantin Lévine, délégué de l’auteur, dont les amours idylliques avec Kitty Chtcherbatskaïa contrastent avec l’amour tragique d’Anna et de Vronski. Nature exigeante et insatisfaite, que l’abolition du servage contraint à une difficile réadaptation de ses rapports économiques et humains avec les paysans, Lévine introduit dans le roman la dimension de l’actualité politique et sociale, cependant que son insatisfaction et son angoisse au sein d’un bonheur conjugal sans nuages font planer sur tout le récit le sentiment d’un malaise spirituel.

Le tolstoïsme et les dernières œuvres (1877-1910)

Abandonné en 1874, Anna Karénine ne sera achevé, à contrecœur, qu’en 1877; Tolstoï se trouve alors au creux d’une dépression, dont les velléités suicidaires de Lévine sont le reflet, et qu’il décrira en 1879 dans une Confession (Ispoved’ ) devant servir de préface à l’exposé de sa doctrine religieuse. Saisi par le vertige du néant, il éprouve douloureusement l’impossibilité de vivre sans la foi, qu’il découvre intacte chez les gens du peuple: le mode de vie parasitaire des classes privilégiées, dont il tentera désormais de s’affranchir, porte ainsi en lui-même sa propre condamnation. Mais la pratique religieuse à laquelle il s’astreint pendant deux ans (1877-1879) le persuade que le message biblique a été altéré par la tradition juive et l’enseignement de l’Église. Il apprend l’hébreu et entreprend un travail de critique (Critique de la théologie dogmatique , Kritika dogmati face="EU Caron" カeskogo bogoslovija , 1879-1881) et d’exégèse (Réunion et traduction des quatre Évangiles , Soedinenie i perevod face="EU Caron" カetyrëkh Evangelij , 1881) qui aboutit à une version nouvelle du Nouveau Testament (Abrégé de l’Évangile , 1883): rejetant le surnaturel, et par conséquent la divinité de Jésus, Tolstoï ramène le message du Christ à une règle de vie fondée sur deux principes, l’amour de Dieu et celui du prochain, et se résumant aux cinq commandements du Sermon sur la montagne: ne te mets pas en colère, ne commets pas l’adultère, ne prête pas serment, ne résiste pas au mal par le mal, ne sois l’ennemi de personne.

Venu à Moscou en 1881 pour l’éducation de ses enfants, Tolstoï y découvre, à l’occasion du recensement auquel il participe en 1882, le spectacle de la misère urbaine. Il en tire dans Que devons-nous faire? (Tak face="EU Caron" カto face="EU Caron" ゼe nam delat’? , 1883) une condamnation sans appel des principes sur lesquels est fondée la société moderne en Russie et dans le monde entier: la propriété, moyen d’exploitation de l’homme par l’homme et source d’inégalité: l’État, instrument de contrainte perpétuant la domination des riches sur les pauvres; l’Église asservie à l’État; le progrès technique ne bénéficiant qu’aux privilégiés; l’art et la science modernes placés à leur service. Cependant, il réprouve le recours à la violence révolutionnaire et se contente de prêcher et de pratiquer l’action philanthropique et la propagande de la vérité religieuse. Il prend part en 1891, 1893 et 1898 à la lutte contre la famine, défend la secte persécutée des Doukhobors et aide financièrement ses membres à s’installer au Canada, crée avec son principal disciple, Tchertkov (face="EU Caron" アertkov), la maison d’éditions Posrednik («L’Intermédiaire»), qui se propose de fournir au peuple les lectures dont il a besoin.

La condamnation d’une civilisation fondée sur la recherche du superflu s’étend aussi à l’art moderne que Tolstoï, dans un traité paru en 1898, Qu’est-ce que l’art? ( face="EU Caron" アto takoe iskusstvo? ), accuse de solliciter les émotions artificielles des classes privilégiées et auquel il oppose un art populaire accessible à tous par sa clarté et sa simplicité propre à unir les hommes, et non à les diviser, en exprimant les aspirations profondes communes au plus grand nombre, c’est-à-dire leurs aspirations religieuses; il en trouve le modèle dans «l’épopée de la Genèse, les paraboles des Évangiles, les légendes, les contes, les chansons populaires». C’est dans cet esprit qu’il a déjà rédigé, en 1872 et en 1874, les cours récits des Quatre Livres de lecture et que, après 1885, il écrit une série de récits et de drames populaires, où la langue se simplifie à l’extrême, et où l’analyse psychologique est sacrifiée à la démonstration d’un principe moral. Mais La Puissance des ténèbres (Vlast’ t’my , 1886) fait exception: le pouvoir maléfique de l’argent est ici suggéré avec une vérité psychologique et une puissance dramatique qui font de ce «drame populaire» l’un des chefs-d’œuvre de la scène russe.

On retrouve ces qualités dans une série de grands récits qui, à partir de 1886, révèlent chez Tolstoï un sens plastique et une pénétration psychologique intacts, joints à une lucidité corrosive servie par un style qui gagne en vigueur et en sobriété.

La dénonciation du mensonge social, qui domine l’œuvre des dernières années, s’accompagne d’une mise à nu de la condition humaine dont l’accent pessimiste est cependant tempéré par le thème constant de la conversion spirituelle. Ainsi dans La Mort d’Ivan Iliitch (Smert’ Ivana Il’i face="EU Caron" カa , 1886), l’approche de la mort, qui déprécie d’abord pour le héros tout ce qui faisait jusque-là sa vie, aboutit, en ses derniers instants, à lui faire découvrir la loi d’amour qui fait de la mort elle-même une délivrance; cette découverte est aussi le thème du récit Maître et serviteur (Khozjain i rabotnik , 1895). Dans la Sonate à Kreutzer (Krejcerova sonata , 1889), son impitoyable lucidité atteint, par-delà l’institution sociale du mariage, la condition humaine même, sous la forme de la sexualité, que Tolstoï, dans une postface, n’hésite pas à condamner même au prix de la fin de l’espèce humaine. La lutte de l’esprit contre la chair (Le Diable , D’javol , 1889), contre la tentation de la gloire terrestre (Les Notes posthumes du starets Théodore Kouzmitch , Posmertnye zapiski starca Fëdora Kuzmi face="EU Caron" カa , 1905), ou contre l’une ou l’autre (Le Père Serge , Otec Sergij , 1895-1898) tient une place importante dans l’œuvre des dernières années; mais les deux derniers récits illustrent surtout le thème de la rupture avec le monde, de même que le drame Le Cadavre vivant ( face="EU Caron" ォivoj trup , 1890) dont le héros est un noble déclassé parce qu’il a pris conscience du mensonge qui l’entoure et ne peut plus le supporter.

On retrouve tous ces thèmes dans le troisième grand roman de Tolstoï, Résurrection (Voskresenie ), commencé en 1889, mais achevé dix ans plus tard seulement. Mis sur la voie de la conversion spirituelle par le sentiment de culpabilité qu’il éprouve en reconnaissant dans la prostituée qu’il doit juger la jeune paysanne qu’il a jadis séduite et abandonnée, le prince Nekhlioudov découvre progressivement l’hypocrisie et la cruauté d’un système judiciaire, pénitentiaire, politico-administratif, ecclésiastique, dont la véritable fonction est de défendre les privilèges économiques et sociaux d’une classe de parasites. Dénonciation violente d’une société et d’une civilisation, Résurrection laisse cependant entrevoir çà et là la qualité poétique du réalisme de Tolstoï. Celle-ci éclate dans sa dernière œuvre, la nouvelle Hadji-Mourad (Khad face="EU Caron" ゼi-Murat , 1896-1904), où Tolstoï se sert de la figure d’un rebelle caucasien rallié aux Russes pour faire apparaître la froide brutalité de la machine politique du tsarisme et de son chef Nicolas Ier. Mais les souvenirs de jeunesse qui ont fourni les matériaux de ce récit lui confèrent une remarquable fraîcheur poétique qui s’incarne dans la personnalité du héros, en qui la noblesse et la délicatesse des sentiments se combine à la vigueur spontanée d’une nature primitive.

En conflit ouvert avec les autorités civiles et religieuses (qui l’ont excommunié en 1901), Tolstoï est cependant protégé par l’immense autorité morale dont il jouit dans le monde entier. Pourtant, un double conflit le tourmente. Ses obligations familiales se heurtent aux impératifs de sa doctrine. Celles que lui imposent sa célébrité et son autorité deviennent un obstacle sur la voie de la libération spirituelle qu’il recherche obstinément. Dès 1894, il a songé à quitter les siens pour se libérer de toute attache. Au petit matin du 28 octobre 1910, il quitte en cachette Iasnaïa Poliana, accompagné seulement d’une de ses filles et de son médecin. Atteint de pneumonie, il meurt le 7 novembre dans la petite gare d’Astapovo, devenue pendant quelques jours le point de mire du monde entier.

Источник: TOLSTOÏ (L.)

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